« Aussitôt libéré, aussitôt incarcéré ». Sans risque de se tromper, on peut dire que c’est l’expression la plus usitée pour qualifier la situation de liberté de courte durée dans laquelle se sont retrouvés, le 29 mai 2024, le lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana et Me Guy Hervé Kam.
Dans la matinée de ce mois de mai finissant, c’est l’ancien commandant du 12e Régiment d’infanterie commando (RIC) de Ouahigouya qui a été le premier à ne pas bénéficier de la levée, une semaine plus tôt, de la mesure d’assignation à résidence surveillée dont il faisait l’objet pour deux affaires de complot contre la sûreté de l’Etat. Au moment où il quittait le quartier huppé de Ouaga 2000 où il était détenu, il a aussitôt été contraint de descendre de sa voiture et d’embarquer dans une autre, conduite par des hommes en tenue, qui a démarré en trombe vers une destination inconnue sous le regard médusé de ses proches venus le chercher.
Dans la soirée, c’était le tour de l’avocat Guy Hervé Kam de subir le même sort. Amené et déposé sur un terrain vague non loin de son domicile à Ouaga 2000 par des éléments de la Sûreté nationale qui le détenaient depuis janvier 2024, il a aussitôt été récupéré par un autre groupe d’hommes en tenue devant sa famille qui était sortie pour l’accueillir. Contrairement au lieutenant-colonel, l’avocat a été amené vers une destination connue : la section de recherches de la Gendarmerie nationale.
On apprendra du collectif d’avocats du sieur Kam, qui a animé une conférence de presse le 31 mai, que leur client et confrère a été entendu la veille par un juge d’instruction du Tribunal militaire de Ouagadougou qui a émis contre lui un mandat d’amener le 28 mai. Par la suite, il a été mis en examen et déposé à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA) pour complot contre la sûreté de l’Etat et association de malfaiteurs.
Devant les journalistes, le collectif a dénoncé la violation des droits de leur client ainsi que de la procédure dans le cadre de cette affaire. Avant les avocats, c’est le Mouvement SENS (Servir et non se servir) qui s’est insurgé, dans une déclaration, en faisant cas d’acharnement contre son coordonnateur national.
De toutes ces sorties, celle qui a le plus retenu l’attention est la conférence de presse animée par le procureur militaire près le Tribunal militaire de Ouagadougou, le capitaine Ahmed Ferdinand Sountoura, le 1er juin dans la capitale burkinabè. Ce fut l’occasion de faire le point des dossiers de complots contre la sûreté de l’Etat en instruction au niveau de cette juridiction d’exception au nombre desquels il y a celui de Me Guy Hervé Kam. Des informations susceptibles d’éclairer l’opinion ont été données sur les différents dossiers lors de ce que l’on peut qualifier de réponse au collectif d’avocats. Histoire de lever des zones d’ombre, de permettre de savoir ce qui est reproché aux mis en cause.
Toutes choses qui ont constitué un début de lisibilité sur ces affaires en instruction. Et comme pour que nul n’en ignore, que l’opinion soit largement informée, la déclaration liminaire du procureur militaire a été intégralement diffusée à la télévision nationale dans la soirée du 1er juin après le journal télévisé de 20h. La radio nationale en a fait de même dans le dimanche 2 juin 2024. Au passage, il faut déplorer la sélection des organes opérée par la justice militaire pour cette conférence de presse. Si c’est le droit absolu du parquet militaire d’inviter qui il veut pour la couverture médiatique de ses événements, il n’en demeure pas moins qu’il devait « ratisser large » au regard de l’importance du sujet pour l’opinion nationale.
Il était temps, serait-on tenté de dire car on ne savait pas exactement quoi tout cela retourne. Il n’y avait aucune lisibilité et on était en pleines conjectures dans ces différentes affaires d’atteinte à la sûreté de l’Etat, de tentatives de déstabilisation du régime de la Transition qui impliquent des militaires et des civils. Il n’y avait que la version des proches des accusés qui était servie jusque-là avec le risque de parti pris qu’elle comporte. C’est ainsi que l’on a entendu les avocats marteler que le dossier de leur client est vide. De leur côté, les partisans de ce dernier parlent de montage, de règlement de comptes.
Dans le même temps, d’autres citoyens proches du régime ont déjà jugé et condamné avant l’heure les accusés qui, à leurs yeux, sont forcément coupables. Or, il n’y a que la justice qui puisse établir la culpabilité ou l’innocence d’un mis en cause au terme d’un procès équitable. C’est dire qu’en l’absence d’une communication de la justice militaire, il était difficile de se faire une idée sur ces affaires qui ont la particularité de concerner des personnes qui ne sont pas des citoyens lambda.
Outre Me Kam et l’officier Zoungrana, il y a, par exemple, le lieutenant-colonel Evrard Somda, ancien chef d’état-major général de la Gendarmerie nationale. Tout ce qui concerne ces types de personne intéresse l’opinion nationale et ne saurait passer sous silence. Dans ce genre de cas, la justice doit se départir de sa légendaire lenteur et de son silence souvent assourdissant sur des affaires même si c’est pour ne pas gêner des enquêtes en cours. Il y a un juste milieu à trouver entre informer l’opinion et respecter les secrets de l’instruction.