L’Allemagne tourne une page d’histoire avec le départ ce mercredi 8 décembre, après seize ans, d’Angela Merkel. Pour la troisième fois dans l’histoire du pays depuis la fin de guerre, un social-démocrate, Olaf Scholz, devient chancelier à la tête d’une coalition associant le SPD, les écologistes et les libéraux.
Olaf Scholz, 63 ans, a une longue carrière politique derrière lui et pourtant son parcours n’a pas inspiré de biographies et autres ouvrages. Comme Angela Merkel, on sait par exemple très peu de choses sur sa vie privée. Le futur chancelier est né à Osnabrück, dans l’Ouest de l’Allemagne, le 14 juin 1958, mais il est un Hambourgeois de cœur, une ville où ses parents, actifs dans le textile, s’installent lorsqu’il est bébé. Il est le premier dans sa famille à faire des études et à incarner le modèle méritocratique défendu par le parti social-démocrate. Ses deux frères plus jeunes lui emboîtent le pas. L’un dirige aujourd’hui un hôpital dans le nord de l’Allemagne ; l’autre une entreprise active dans les nouvelles technologies.
Olaf Scholz adhère à 17 ans au SPD. Il a toujours avec lui dans son cartable son livret rouge de membre du parti. Comme beaucoup dans les jeunesses sociales-démocrates, il est très à gauche dans les années 1980 et prône « le dépassement de l’économie capitaliste ». Début 1984, il rencontre avec d’autres responsables des jeunesses sociales-démocrates de hauts dignitaires du régime communiste est-allemand.
Cet engagement au SPD se traduit tout d’abord par sa carrière professionnelle. Contrairement à d’autres responsables politiques, Olaf Scholz exerce tout d’abord « un vrai métier » et travaille comme avocat. Il défend souvent des salariés menacés par des licenciements et après la réunification des comités d’entreprise dans la partie Est du pays dont les sociétés doivent être démantelées et privatisées. Une tâche qu’il a souvent mentionnée durant la dernière campagne électorale pour mettre en avant son engagement social comme sa connaissance du terrain dans l’ex-RDA.
La carrière politique d’Olaf Scholz commence avec l’arrivée au pouvoir d’un autre social-démocrate, Gerhard Schröder, en 1998. Le nouvel élu au Bundestag prend la direction de la fédération du SPD à Hambourg et intègre les instances dirigeantes de son parti dont il sera le secrétaire général entre 2002 et 2004. Un large public fait alors la connaissance d’Olaf Scholz qui défend les profondes réformes sociales de Gerhard Schröder. C’est à cette époque qu’il est surnommé « Scholzomat », une allusion à sa façon de répéter sans cesse tel un robot les mêmes phrases. Le futur chancelier prend un malin plaisir à ne pas répondre aux questions des journalistes ou à donner une réponse qui ne correspond pas à la question. Et achève ses interlocuteurs en répondant par un lapidaire « oui » ou « non » à une interrogation sur un sujet complexe.
Ce style mais aussi la défense des réformes Schröder et sur le tard son appartenance à l’aile droite du SPD font d’Olaf Scholz le mal aimé du parti social-démocrate qui, lors des congrès, le sanctionne régulièrement avec un score médiocre lors de la réélection des instances dirigeantes.
Cela explique aussi qu’il ne soit pas retenu en 2005 lorsque le premier gouvernement de grande coalition dirigé par Angela Merkel est constitué. Mais c’est plus tard aux côtés de la chancelière chrétienne-démocrate qu’Olaf Scholz obtient une carrure nationale qui lui permettra à l’arrivée de décrocher la chancellerie. Il est ministre des Affaires sociales entre 2007 et 2009. Merkel n’apprécie pas au départ son côté donneur de leçons. Mais leur style les rapproche : sobriété, aucun effet de manche, une rhétorique dépouillée, pas d’accents lyriques, le pragmatisme avant tout et une maîtrise des dossiers redoutable lors de négociations. Olaf Scholz met en place avec la chancelière des mesures massives en faveur du chômage partiel contre la crise qui débute en 2008 ce qui à l’arrivée permet à l’Allemagne d’éviter une augmentation sensible du chômage.
Quand Olaf Scholz revient aux affaires à Berlin en 2018 lors de la constitution d’un nouveau gouvernement de grande coalition, il prend le portefeuille des Finances et s’illustre dans un premier temps comme l’héritier fidèle de son prédécesseur, le grand argentier chrétien-démocrate Wolfgang Schäuble, adepte de la rigueur budgétaire. Un positionnement qui, à nouveau, fait d’Olaf Scholz la bête noire de l’aile gauche du SPD qui a accepté une nouvelle grande coalition en grinçant des dents. Les succès du nouveau ministre comme maire de Hambourg entre 2011 et 2018 avec des scores à faire rêver son parti, la construction massive de logements ou des crèches gratuites ne suffisent pas à convaincre la base du SPD. Quand en 2019, Olaf Scholz participe à la primaire pour la direction de son parti, il subit un échec cinglant. Il se qualifie certes avec sa co-équipière pour le deuxième tour, mais il est battu par un duo plus à gauche soutenu par les jeunesses sociales-démocrates. Comme les violences massives lors du G20 à Hambourg en 2017 qui ternissent l’image de Scholz, il rebondit dans l’adversité, là où d’autres passeraient la main.
Quelques mois après son échec pour prendre la direction du SPD, le nouveau Olaf Scholz prend son envol. Avec la pandémie, le ministre des Finances, chantre de la stabilité budgétaire, sort son bazooka et dépense des milliards pour soutenir l’économie allemande. Il contribue avec Paris au lancement et au succès du plan de relance européen au printemps 2020 ; l’Allemagne brise un tabou et accepte des dettes communes de l’UE. Il s’engage en faveur d’une taxe sur les transactions financières et engrange un succès au G20 cette année avec un accord sur des taux d’imposition minima pour les multinationales.
Ces mesures mais aussi l’absence d’un autre candidat disposant de la même compétence et envergure conduit le SPD à le désigner, très tôt, durant l’été 2020 comme candidat à la chancellerie. Certains ironisent au vu des sondages dramatiques : les sociaux-démocrates ont-ils besoin d’un candidat à la chancellerie ? Les Verts voient avec le temps leurs scores s’envoler. Un duel entre les conservateurs et les écologistes apparaît alors comme la seule option crédible. Le SPD, avant l’été, ne décolle pas et est crédité de 15% dans les sondages. Les caricaturistes tirent sur l’ambulance ; d’autres éprouvent presque de la pitié.
Olaf Scholz y croit. Il a mis en place une stratégie de longue haleine. S’imposer à son poste de ministre des Finances d’où il dispose d’une vue d’ensemble de la machine gouvernementale. Il se forge aussi une carrure internationale en Europe et au-delà. Il est persuadé que dans la dernière ligne droite, lorsque les Allemands auront réalisé que la chancelière éternelle passe la main, la donne changera. Les chrétiens-démocrates vont perdre le bonus lié à la personne d’Angela Merkel. Le candidat qu’ils se sont choisi ne convainc pas. Olaf Scholz par son style et son mode de gouvernement est le parfait successeur de la chancelière. Il force le trait, se fait photographier en prenant la fameuse pose prisée par Angela Merkel tenant ses mains en forme de losange. Une affiche du SPD proclame à propos d’Olaf Scholz « Il peut être chancelière ».
Le pari va fonctionner, au-delà même de ce qu’espérait l’intéressé puisque son parti termine le 26 septembre en tête. Les chrétiens-démocrates engrangent une débâcle historique. Les Verts progressent certes par rapport à 2017, mais leur envolée historique dans les sondages au printemps retombe comme un soufflé. Une coalition entre le SPD, les écologistes et les libéraux est possible et permet l’élection ce mercredi d’Olaf Scholz.
Si les parallèles avec Angela Merkel dans le style sont frappants, Olaf Scholz n’est pas pour autant un clone de la chancelière version sociale-démocrate. Sa prédécesseuse était souvent plus une modératrice ; Scholz qu’on baptisait à Hambourg « le roi Olaf » dirige ses équipes d’une main de fer et exige une discipline exemplaire. Les bisbilles au sein de la coalition doivent se régler dans les coulisses et non dans les médias. La frustration des journalistes allemands durant les négociations des dernières semaines illustrait cette nouvelle façon de faire. Et si Olaf Scholz est un pragmatique comme Angela Merkel, il entend, plus que la chancelière sortante, agir et non seulement réagir ; il veut avec sa nouvelle coalition présenter un projet de modernisation du pays pour l’actuelle décennie plutôt qu’une gestion professionnelle, mais sans réforme majeure des crises inévitables.
Source: rfi.fr