Le Conseil des ministres en sa séance du 6 mars 2024 a adopté un décret portant institution d’une Journée dite des coutumes et traditions au Burkina Faso en abrégé JCT. Cette décision a été diversement appréciée par les citoyens burkinabè qui y vont chacun dans son argumentaire pour applaudir ou remettre en cause. Nous vous proposons l’analyse de Abdoul Moumine Dabré un ” Citoyen du monde” qui estime que ” l’Etat laïc viole les frontières du religieux “. Lisez plutôt !
Le Conseil de ministres en sa séance du 6 mars 2024 a adopté un décret portant institution d’une Journée dite des coutumes et traditions au Burkina Faso en abrégé JCT.
Le compte rendu du Conseil avance que le Burkina Faso est caractérisé par sa diversité culturelle, ethnique, linguistique et religieuse qui a longtemps constitué le levain de la cohésion sociale. Il ajoute que cette diversité constitue en soi une valeur fondamentale, dont la préservation et la promotion sont plus que jamais nécessaires. Pour le Gouvernement, les objectifs de la Journée des coutumes et traditions seraient de :
– réaffirmer la laïcité de l’Etat,
– renforcer l’équité dans le traitement des expressions religieuses,
– offrir aux adeptes de la religion traditionnelle un cadre de promotion des valeurs et des pratiques ancestrales.
Le 15 mai de chaque année est retenue comme ‘’ Journée des coutumes et traditions”. Elle est une journée chômée et payée.
Cette décision est tout simplement une aberration culturelle et spirituelle.
Ce n’est pas à un État laïc de déterminer une date d’événements religieux car la JCT a bel et bien un fond religieux, cultuel. S’inviter sur le terrain du religieux pour prescrire un culte permanent et une date fixe c’est violer la laïcité de l’Etat que le décret prétend réaffirmer.
Depuis les indépendances jusqu’à maintenant soit près de 70 ans, la répression des religions par l’administration a progressivement diminué pour disparaitre. La liberté de culte est l’une des richesses et fierté du Burkina Faso.
En disant vouloir renforcer l’équité dans le traitement des expressions religieuses et offrir aux adeptes de la religion traditionnelle un cadre de promotion des valeurs et des pratiques ancestrales, le Gouvernement crée un groupe de religieux victimes, un groupe de marginaux de la république. Dans les faits, les adeptes d’aucune religion n’ont été empêchés de pratiquer et promouvoir leurs pratiques. L’Etat n’a pas a donné forme à un problème fictif qui pourrait se métamorphoser en problème réel dans le futur. Toutes les expressions religieuses se passent avec la participation des personnes intéressées et très souvent en présence des autorités administratives, politiques et les représentants d’autres confessions religieuses. L’argument de traitement équitable et d’offre de cadre de promotion de valeurs sonne comme la réparation d’une injustice pourtant jamais connue du public. Alors, de quelle iniquité parle le Gouvernement, de quelle absence de cadre s’agit-il ?
Un État laïc se doit simplement de prendre acte des cultes de son espace territorial. Pour le cas d’espèces, dans l’impossibilité de trouver une date nationale, n’était-il pas préférable d’opter pour des dates régionales, provinciales voir communales communiquées par les acteurs locaux selon leurs réalités et de concert avec les gouvernorats, Hauts commissariats, préfectures et mairies ?
Avec un 15 mai parachuté c’est aux coutumes de s’adapter au décret alors que ce texte prétend accompagner les coutumes et traditions.
Pour les évènements religieux déjà pris en compte par la loi sur les « fêtes légales et évènements à caractère historique », les célébrations à caractère religieux sont mentionnées sans précision de date. L’État a simplement pris acte et constaté ces évènements et leurs dates sont laissées aux soins de chaque communauté religieuse. Des facilités sont accordées ces jours pour permettre aux fidèles de réaliser des activités religieuses qu’eux-mêmes définissent et exécutent selon les règles de leur foi.
Pour cette date du 15 mai, c’est comme si le Gouvernement oblige le Gourounga, le Moaga, le Samo, le Sénoufo, etc. à célébrer un culte en un jour qui n’a aucun référent dans leurs calendriers d’adoration.
Le 15 mai est une référence du calendrier grégorien qui n’est pas le calendrier des coutumes et traditions avant la colonisation. Vouloir forcer ce qui n’existait pas c’est validé son aliénation et prétendant retourner aux sources.
Dans les usages des coutumes et traditions tout événement d’envergure a une référence locale, une signification qui le lie à ce qui était fait auparavant par les ancêtres. Pour le 15 mai, c’est Ouagadougou qui a décidé pour le Burkina profond. Le Gouvernement devient l’ancêtre de toutes les communautés coutumières et traditionnelles. Au lieu que nous allons vers les traditionalistes pour savoir pourquoi ils posent tel acte à telle date, ce serait désormais au Gouvernement à travers le MATD (Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation) de dire aux coutumiers que faire du 15 mai et peut-être que faire le 15 mai. Ingérence de l’État dans les affaires coutumières, spirituelle ou promotion de ” nos valeurs ancestrales ” ? À chacun sa réponse.
Si la date du 15 mai est véritablement coutumière, elle devrait avoir une symbolique et une signification coutumière qui sont parfois la même pour le Moaga installé à Nanoro que celui vivant à Abidjan, le Dagara vivant au Koumassi que celui Pê, le gourmantché résidant à Niamey que celui de Logobou, le sénoufo de Tombouctou et celui de Orodara, le haoussa de Abuja que celui de Djibo. Est-ce le cas de cette JCT ?
Le 15 mai prochain, M. ou Mme X arrive dans son propre village pour une journée dites des coutumes et traditions (JCT). En temps normal, tout le protocole et les rites sont exécutés par des personnes connues depuis des décennies mais pour la JCT ce serait à M/Mme X d’expliquer l’objet de sa présence et dire que faire. C’est simplement incongru. Initier un culte un 15 mai pour faire écho à un décret c’est sortir du cadre coutumier et traditionnel. L’instance ayant pris le décret étant coutumièrement et traditionnellement incompétent pour instituer une célébration permanente que la coutume et la tradition n’ont pas prévu. Si la JCT est une date authentiquement coutumière et traditionnelle sa fixation, sa modification, son institution n’ont pas à être coordonnées par un gouvernement. L’environnement social aurait simplement révélé sa nécessité et sa prise en compte s’imposerait d’elle-même.
Pour le chômé et payé du 15 mai qui semble être la prise en compte d’une égalité, il est inadapté par rapport aux pratiques observables sur le terrain. Les périodes et dates des rites coutumiers sont différents d’une localité à une autre et d’une communauté à une autre.
Les villages où les étrangers (y compris les fonctionnaires et autres employés du privé) sont contraints de quitter durant les célébrations coutumières doivent-ils encore bénéficier de JCT chômée et payée ?
Si des facilités sont accordées à des expressions religieuses, l’étendre à toutes les expressions religieuses n’est que justice. Cependant cette extension doit être conforme aux pratiques, ne pas modifier de l’extérieur les rites, être en phase avec les réalités sociales et surtout ne pas créer une nouvelle iniquité. En instituant un jour pour une expression religieuse alors que les décrets précédant relatifs aux expressions religieuses n’ont fait que constatés ce qui existait déjà, le Gouvernement crée une iniquité en affirmant travailler à l’élimination des iniquités. A tout hasard, pour une communauté qui célèbre ses rites en mars, en octobre ou en décembre, que fera-t-elle d’un 15 mai chômé et payé ? Pour des rites qui s’étalent sur plus d’un jour, le 15 mai chômé et payé aura-t-il établit l’équité ?
L’expérience des jours chômés et payés au Burkina Faso, montre que cela ne profite surtout qu’à certains agents de l’Etat et quelques agents du privé travaillant dans des entreprises structurées. En dehors des célébrations religieuses d’envergure (Noel, Pâques, ramadan, tabaski), les autres jours chômés et payés sont des jours ‘’normaux ‘’ de travail pour l’écrasante majorité de la population. Une journée des coutumes et traditions en phase avec les habitudes des populations aurait été plus profitable pour elles. Autrement, il n’y aura que quelques agents de l’Etat et de travailleurs du privé qui en jouiront, les principaux concernés vaqueront à leurs occupations comme si de rien n’était. A vouloir respecter ce qui n’est pas dans son référentiel, la journée devient plus un fardeau qu’une faveur pour ceux à qui elle est destinée. Pour l’Etat et beaucoup d’entreprises ce sera une perte énorme d’argent sans impact social palpable.
L’institution de la JCT pose la question de sa coexistence avec la Semaine Nationale de la Culture (#SNC) qui est censée promouvoir la culture burkinabé dans toute sa diversité. Pour la cohésion sociale, la promotion de nos us et coutumes dans toute leur diversité, la #SNC a été créée en 1983. Elle est l’une des toutes premières réalisations de la révolution d’août 83. La Semaine nationale de la culture porte les aspirations de valorisation des coutumes et traditions dans un esprit de cohésion sociale. Elle réunit harmonieusement, toutes les sensibilités du Burkina et d’ailleurs.
La prise en compte de notre culture, de nos us et coutumes, leur valorisation est un devoir sacré. Bon gré mal gré nous sommes tous redevables à nos aïeux de qui le Créateur a voulu que chacun soit descendant. Nous devons considérer avec le plus grand soin ce que nous leur dédions. Une JCT conforme aux réalités locales serait plus porteuse.
Abdoul Moumine DABRE, citoyen du monde