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Opinion: Débat sur la lettre à Mariam Sankara, Damiss explique le sens de sa missive

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La semaine dernière, le journaliste et écrivain Adama Ouedraogo dit Damiss a adressé une lettre à Mariam Sankara dans laquelle il invitait l’épouse du père de la révolution burkinabè d’aller rendre visite à Blaise Compaoré à Abidjan pour faire la paix des braves à l’image de crises similaires dans le monde qui ont été résolues par des solutions pacifiques. Cette lettre a suscité beaucoup de réactions dans les réseaux sociaux dont certaines sont très  passionnées. L’auteur revient avec plus d’explication sur les motivations de sa missive à Mariam Sankara. Lisez plutôt !

” Avez-vous déjà entendu parler de l’affaire Jean-Paul II et Mehmet Ali Agca?

Ma lettre à Mariam Sankara, l’épouse du leader de la Révolution burkinabè, suscite des débats passionnés. Je m’y attendais. J’ai reçu de nombreux  messages de soutien pour cette suggestion. Il y a également des personnes qui ont été choquées  par ma  démarche jugée osée. Certains se sont lancés dans  des interprétations erronées, voire fantaisistes. D’autres ont choisi les injures en lieu et place d’arguments soutenus pour apporter la contradiction. Je les comprends. Beaucoup d’entre eux sont de bonne foi surtout que la charge émotionnelle est très élevée dans tout ce qui concerne l’icône de la jeunesse burkinabè et africaine.

Mais c’est aussi ça la démocratie : les opinions contradictoires. Il me plait de rappeler cette citation apocryphe de Voltaire : «  Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à ma mort pour que vous ayez le droit de le dire ».

Si les insultes et les vilenies  contre ma modeste personne  peuvent  faire  plaisir à certains, ils peuvent continuer à  s’en donner à cœur joie. Mais il faut savoir que l’émotion est destructrice et j’avoue que si certaines personnes avaient à leur portée un pistolet automatique ou un fusil AK47, elles  auraient cédé à leur émotion et ouvert le feu sur moi. Voyez-vous, si le Président Kennedy avait cédé à l’émotion, le monde aurait connu une 3è guerre mondiale avec la crise des missiles de Cuba.

Au moment  où dans certains pays, on fait des projections sur ce que sera le monde en 2040 ou 2050 pour anticiper les défis socio-économiques, stratégiques et géopolitiques, nous, nous refusons  de tourner les pages noires de notre histoire pour aller de l’avant. Le vrai combat, c’est de faire en sorte que personne ne puisse tuer impunément pour des affaires de pouvoir. Et pour cela, tous les combattants de la lutte contre l’impunité ont remporté une grande bataille : le jugement de l’affaire Sankara.  La tenue du procès, 35 ans après les faits, est une grande victoire du peuple burkinabè. Et le président du CNR est immortel.

Certains estiment que c’est Blaise Compaoré qui devait aller vers Mariam Sankara. Soit. Sauf que ma lettre s’adresse  à la veuve de Sankara et non à Blaise Compaoré et je lui demande de faire comme Nelson Mandela à moins qu’on me  convainque  que le choix fait par Nelson Mandela d’aller  vers ses bourreaux fut mauvais. Et ces genres de rencontres s’organisent, se préparent en associant des personnes de ressources, des sages, des religieux et des coutumiers.

Beaucoup de ceux qui me lisent sont très croyants. Je voudrais par conséquent puiser  un exemple dans l’histoire pour permettre aux gens de bonne foi  d’appréhender ma proposition qui n’est rien d’autre qu’une simple suggestion.

Le  13 mai 1981, sur la place Saint-Pierre de Rome, le Turc d’extrême droite  Mehmet Ali Agca a tiré sur le Pape Jean Paul II et l’a grièvement blessé à l’abdomen. Après l’attentat, Jean-Paul II a demandé aux fidèles chrétiens de prier pour son « frère Ali Agça » à qui « il a sincèrement pardonné. ». C’est bien le Pape qui était la victime, pas une autre personne.

Mehmet Ali est arrêté, jugé et condamné à la perpétuité. Deux ans plus tard, Jean-Paul II lui rend visite dans sa cellule en Italie. A l’occasion, Mehmet Ali Agca a fait des confidences au chef de l’Eglise Catholique sur les mobiles et le commanditaire de sa tentative  d’assassinat. Pourtant lors de son procès, il a refusé de dire « la vérité » arguant avoir agi seul. Pire, il a été arrogant et a insulté magistrats et journalistes. Jean-Paul II a gardé le secret que le militant d’extrême droite lui a confié en privé. Le Pape a  rencontré la mère et le frère de Mehemet Ali Agca et a  gardé le contact avec sa famille.

Mehmet Ali Agca a bénéficié d’une grâce du président italien. Sans doute Jean-Paul II a plaidé pour sa cause afin qu’il soit gracié et libéré. Il a été extradé en Turquie où il a été poursuivi pour d’autres crimes. Par la suite, Ali Agca a sollicité une audience avec le successeur de Jean Paul II, le Pape François, lors de sa visite en Turquie. Alors qui vous dit que si Mariam Sankara se rend dans la capitale ivoirienne, Blaise Compaoré ne lui dira pas en privé tout ce qu’il s’est réellement passé et cela va davantage apaiser le cœur de la veuve ? Qui vous dit que cette rencontre ne sera pas celle d’une  « autre  vérité », loin de ce que nous voulons entendre prononcer en public ? Qui vous dit que Blaise Compaoré ne lui demandera pas pardon ? Pourquoi voulons-nous que nos désirs et nos convictions  soient l’unique vérité, la vérité absolue ?

Si même Sa Sainteté Jean-Paul II, qui a marqué l’humanité toute entière par son discours et son comportement en faveur de la paix, est allé vers son bourreau pour échanger avec lui en prison, qui es-tu, toi, simple mortel, pour refuser le pardon ?

Certains de ceux qui m’ont insulté, hier 24 avril 2022, revenaient de la messe de dimanche. A  la messe, le message de Dieu n’est pas celui de la haine.

D’autres, sont musulmans, et avaient jeûné. Le message du jeûne c’est celui du don, du partage et du pardon et non de la haine. L’expression d’une simple idée ne doit pas engendrer un déferlement de haine. Qu’allons-nous enseigner à nos enfants : la haine ou le pardon ? Les  deux fils de Sankara sont les premières personnes à souffrir de l’assassinat de leur père. Mais depuis tout ce temps, ils sont silencieux et affichent une dignité incroyable.

Le fond de ma pensée a donné lieu à des surinterprétations et pourtant il consiste à dire que la victime peut rentrer dans l’histoire en posant un acte  qui dépasse toutes les considérations.

Je suis mu par une seule chose : le pardon et le vivre-ensemble. C’est dans la souffrance qu’on comprend le pardon. J’ai connu des périodes difficiles dans ma vie. Il n’y a que ceux qui ont vécu la douleur qui comprennent le sens du pardon.

 Mon propos, adressé à Mariam Sankara, vise à amener chacun à convoquer son cœur pour l’intérêt supérieur de la Nation. Je suis convaincu que dans le cœur de Mariam  Sankara,  il n’y a pas de haine. Elle voulait connaître les circonstances de la mort violente de son époux, elle recherchait la vérité et la justice. Mais il y a des choses qui ne dépendent pas de sa seule volonté.

Personne ne peut et ne doit banaliser la mort surtout dans des circonstances comme celles du 15 octobre 1987. Il faut se mettre dans la peau des victimes pour comprendre leurs douleurs. Il y a des êtres qu’on ne peut pas remplacer. On ne peut pas remplacer un père, une mère, un enfant. Je ne suis donc pas dans la jubilation, ce serait gravissime. Mais compte tenu du fait que ce sont des évènements politiques, il faut des grands hommes et des grandes dames pour s’élever au-dessus de la mêlée, ce qui ne veut pas dire oubli mais PAR…DON, c’est-à-dire le don de sa grandeur, le don de son patriotisme pour que le peuple s’élève et échappe à la meurtrissure et à la haine. Si Mariam Sankara pose cet acte,  elle  va entrer dans le Panthéon des Hommes qui auront marqué l’histoire de l’humanité par des actes de pardon. Elle pourrait être  éligible au prix Nobel de la Paix et il n’y a pas meilleure reconnaissance à son défunt mari.

Je voudrais  enfin dire ceci : la grandeur ne se mesure pas par le pouvoir de haine mais par le pouvoir du pardon. Certes tout le monde n’est pas Nelson Mandela ou le Pape Jean-Paul II mais chacun peut se surpasser pour tourner une page douloureuse de sa vie de la plus belle manière. Quand une société se  déchire, il faut se résoudre à la recoudre tôt ou tard.

Si mes propos ou les formules utilisées ont pu vexer ou heurter les uns et les autres, je m’en excuse sincèrement car ce n’est pas mon intention.

Je vous aime malgré tout ce que vous dites ou pourrez penser de moi sans me connaitre ou sur la base de « on a dit qu’il est ceci ou cela…. ». Seul l’amour de l’un pour l’autre et réciproquement peut nous faire avancer. La haine ne nous apporte rien et nous mène nulle part. Désarmons nos cœurs.

Merci à tous ceux qui m’ont contacté pour donner leur point de vue sur le sujet dans la courtoisie et le respect mutuel.

Que Dieu vous bénisse et fasse de nous tous des artisans du  pardon, de la tolérance, de la paix et de la réconciliation. Et le Burkina Faso en a bien besoin.

 

Adama Ouédraogo dit Damiss

Journaliste et écrivain

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