Le samedi 6 juillet 2024 à Niamey les dirigeants de trois pays du Sahel le Burkina Faso, le Mali et le Niger, ont adopté un traité instituant une confédération dénommée Confédération des États du Sahel. Ainsi naquis officiellement l’AES dont la gestation a commencé le 16 septembre 2023 suite au retrait avec effet immédiat des trois pays de la CEDEAO. Ce nouvel espace politique est en quête de sécurité, de liberté d’action, de souveraineté et d’autonomie afin de pouvoir résister à l’influence néocolonial, impérialiste et néolibéral occidental. Pour se faire l’historien et enseignant chercheur à l’Université Yembila Toguyéni, de Fada N’Gourma Dr. Worondjilè HIEN dans cette analyse nous plonge dans les luttes que les peuples Lobi et Birifor ont mené contre l’envahisseur colonial et leur organisation social qui leur permet de taire les divergences internes pour faire face à l’ennemi extérieur. Lisez plutôt!
Résister, rien que résister ! Cette résistance continue doit être observée collectivement et non individuellement, à tous les niveaux et non pas au niveau militaire seulement. Elle doit être permanente et globale, parce que les leçons d’histoire montrent qu’elle a toujours été la marque distinctive des peuples et des nations qui ont pu imprimer leur image sur le tableau de l’Histoire et mobiliser la considération de leurs voisins immédiats et distants.
La situation désespérante de nombre d’États africains actuellement sous les feux des canons et des bombes, et particulièrement la souffrance des populations des Êtas de l’AES commandent un retour bref sur ce terme que la complexité sociopolitique et économique du moment érige en concept. Sa mise en œuvre nécessite la mobilisation et la prise en compte de nombreux facteurs.
Un regard historique témoigne que les exemples de résistance à la victoire s’étalent à profusion : les Britanniques et les Français ont résisté, même si ce fut de manière différente, aux troupes allemandes pendant la Seconde Guerre Mondiale ; les Vietnamiens ont opposé une résistance farouche à succès aux troupes américaines qui étaient mieux armées et peut-être mieux entrainées. En Afrique occidentale, Samory Touré, le roi Béhanzin, les Ashanti et les Lobi/Birifor, etc. ont déroulé tous diverses formes de résistance légendaires contre les conquérants coloniaux français et britanniques. Certes, les historiens s’accordent à reconnaitre que les résistances africaines ont échoué, puisqu’elles n’ont pas pu garder l’indépendance des États en présence à l’époque. Mais sur le plan social, notamment dans le domaine de la santé, la résistance passive a limité l’impérialisme et les expériences scientifiques (médicinales) aux conséquences graves.
Toutefois, je veux très brièvement examiner la résistance des Lobi/Birifor (des Lobi et des Birifor) et, à l’occasion, tirer une leçon. Les Lobi et les Birifor habitent la pointe sud-ouest du Burkina Faso depuis la fin du XVIIIe siècle. Ils sont un peuple à pouvoir diffus, couramment appelé organisation lignagère. Le brassage entre ces deux communautés est si profond de nos jours que la langue parlée ne suffit plus pour être Birifor ou Lobi.
À la veille de l’expansion française sur les territoires du Burkina Faso, dans la région du Sud-Ouest actuel, les villages lobi/birifor constituaient les plus grands nids de conflits militaires et de rixes quotidiennes. La quiétude inter et intra-villageoise était permanemment troublée par des affrontements inter-claniques. Les quatre clans principaux, Somé, Da, Hien, Kambou auxquels se rattachent les multitudes de clans connus aujourd’hui à travers les différents noms de famille étaient divisés en deux camps ennemis, l’un étant formé par l’alliance Somé-Da et leurs affiliés et l’autre regroupait les Hien et les Kambou et les sous-groupes. À l’intérieur des alliances c’est plutôt une relation de parenté à plaisanterie. Toutefois, il faut préciser que l’opposition des clans alliés n’était pas linéaire et systématique (au jour le jour et appliquée à tous les domaines des rapports quotidiens entre les individus ou les villages). Elle a demeuré très complexe et ne s’appliquait, à l’occasion, qu’à des affrontements militaires inter-villageois : ce qui signifie que l’alliance, avant de se mettre en ordre de bataille rangée contre le camp ennemi, devait faire un examen minutieux du champ de bataille et tenir compte des alliances matrimoniales impliquées et la composition par patrilinéarité des combattants d’en face. Cette veille évitait au guerrier de faire la guerre à ses beaux-parents et à ses frères lignagers. En outre, l’imbrication ci-dessus soulignée avait conduit à la formation des villages monoclaniques (des villages habités par des familles d’un même clan ou d’un clan majoritaire) opposés les uns aux autres. Ce dernier aspect amplifiait l’insécurité quasi permanent et multipliait les campagnes de vengeance sanglante.
Une tel tableau devait logiquement faire des Lobi/Birifor une proie facile à avaler par les colonnes militaires françaises et de leurs territoires un terrain conquis à l’avance. En fait, la situation sécuritaire délétère était propice à la politique de diviser pour mieux régner employée par les conquérants coloniaux contre les communautés africaines. Seulement, sur le terrain des conquêtes et de la pacification ayant suivi, les résultats démontrèrent le contraire. Une résistance inégalée se mit en place. Selon le Rapport d’ensemble n°33 du 16 janvier 1931 des archives coloniales du Gouvernorat de Gaoua, en 1930, « nulle part ailleurs en Haute-Volta on ne parlait alors de pacification sauf en pays Lobi. Cette région constituait même au niveau du gouvernement fédéral de l’A.O.F., un des rares problèmes de pacification à résoudre ». La résistance étant globale, sur le plan économique et surtout financière, l’historien de l’Université Joseph Ki-Zerbo, Boubié Bazié rapporte que « l’attachement aux cauris et le refus de l’adoption de la monnaie du Blanc étaient une manière de sauvegarder l’indépendance et la souveraineté dont ils jouissaient avant la conquête ». En 1956, l’utilisation des cauris était à 90% environ dans les échanges des produits alimentaires locaux. Le franc CFA était utilisé uniquement pour acheter les produits importés de base. La résistance au franc CFA dans le cercle de Gaoua a perduré au-delà de 1960.
Cette longue résistance a eu, il est vrai, des répercussions négatives sur le futur développement de ces peuples. Mais pour notre échange du jour, intéressons-nous aux causes de ce succès dont le Burkina Faso et ses alliés pourraient s’inspirer, tout en s’instruisant des inconvénients de la lutte pour améliorer leurs schémas de combat actuel. La lance de fer du succès fut l’union autour de chez nous. En dépit des divisions internes parfois profondes, les chefs de guerre, les notables, les chefs coutumiers et la jeunesse avaient pu développer un nationalisme entretenu par une vision commune, celle de sauver le pays : le chez nous ou le Dɩɩ. Dans les faits, les habitants de chaque village avaient obligation de préserver leur propre village et également participer au salut des villages voisins. Face aux troupes coloniales ou aux gardes-cercles armés, les différends entre clans s’estompaient très rapidement pour céder la place à une union qu’on pourrait qualifier de sacrée. La mobilisation qui s’ensuivait devenait générale. Une seule urgence était à l’ordre du jour, préserver, indépendamment du prix en nombre de morts à payer, la nationalité ethnique : le Lobi et le Birifor se rappelaient de leur origine commune et devenaient des frères dont la survie de l’un dépendait de l’héroïsme et du courage de l’autre à combattre l’ennemi commun. Ils avaient aussi une compréhension large que devant la menace de disparition des valeurs socioculturelles lobi/birifor, la survie d’un seul clan quelque soit sa puissance face aux faibles disparus ne serait qu’éphémère. Il fallait nécessairement défendre et assurer la survie de tout le monde en empêchant l’ennemi d’occuper le territoire, même le territoire-village d’un clan ennemi. Ainsi, au son de la trompette de guerre annonçant l’arrivée des troupes ou des gardes-cercles, tous les archers ayant reçu l’écho se mettaient sur leur pied de tir. Mieux, les guerriers traqués par les renseignements coloniaux bénéficiaient de l’accueil de tous les villages et de toutes les maisonnées sans exception. Ils se sustentaient d’une large facilité volontairement offerte par les autres concitoyens pour changer de résidence toutes les nuits et de village toutes les semaines (semaine de cinq jours). C’est dans une telle étroite coopération non exclusive des divergences internes qui sous-tendaient leurs relations propres que les Lobi/Birifor ont tenu aussi longtemps face aux colonisateurs français. Toutes les actions subtiles mises en place par les Français, aucune n’a échappé aux Lobi/Birifor : certaines localités résistèrent plus de cinquante ans. En 1942, Kiété Hien, un émissaire du chef de canton de Gaoua envoyé dans le Village de Gbomblora, du canton d’Iridiaka fut froidement assassiné par les habitants exaspérés par le paiement des impôts et le travail forcé. L’administration craignant un conflit généralisé entre les habitants de Gbomblora et ceux du village originaire de Kiété Hien, Doudou qui était déjà sur le pied de guerre infligea une brutale répression contre ces derniers. Un pan important du village fut détruit ; des hommes furent pendus publiquement et d’autres se réfugièrent en Gold Coast (Ghana). Mais, les villageois se réorganisèrent et la résistance put se poursuivre jusqu’au début des années 1950.
En rappel, les sociétés lobi/birifor ne jouissaient pas d’un pouvoir central commandé par un monarque qui imposait l’unité et entretenait politiquement les communautés, alors comment ont-elles pu maintenir aussi longtemps une seule ligne de résistance face à l’envahisseur ? Tout simplement les combattants et tous les membres de la société avaient reçu l’éducation sur la communauté de destin dès le bas âge, à travers les divers rites initiatiques, notamment les initions djↄrↄ qui restent l’école de vie et les cérémonies de paiement de dot de mariage. Le déroulement cyclique de ces rites constituait sans cesse des rappels solennels. Comme valeur intrinsèque à garder « éternellement » et qui ne devait pas s’effriter face à aucune détérioration sociopolitique, la colère que tu as contre ton frère est fondamentalement différent de la pugnacité à dresser contre un envahisseur, violent, brutal et méjugeant des normes et valeurs anciennement instituées ; commettre des assassinats gratuits ou des crimes passionnels pour exprimer sa bravoure est foncièrement antinomique de se venger pour corriger une injustice et réhabiliter l’honneur collectif. Enfin, il faut agir utile. Par ailleurs, face aux colonnes militaires coloniales, les chefs lobi/birifor avait opéré un classement d’objectifs à atteindre et la préservation de la nationalité était le plus urgent : plus rien n’était aussi vital que la conservation de la société lobi/birifor.
Les autorités de l’AES, surtout du Burkina Faso, suivant ce court rappel historique, doivent trouver l’essentiel, je dirais « l’idéal » qui mobilise à la fois une communauté de destin de la majorité des citoyens et qui fait office d’urgence prioritaire à régler. Les guerriers lobi/birifor, appuyés par les autres concitoyens, nourrissaient une solide espérance de faire survivre leurs valeurs propres à la durée de la colonisation, d’où une résistance qui n’était pas calculée sur la durée de temps mais arrimée à l’espoir de gagner. Ainsi, le Burkina Faso peut réussir sa vision du développement actuel. Donc, c’est le devoir des gouvernants de générer le regard commun pour la paix et le développement malgré les incompréhensions internes constatées. Cette tâche ne saura être très difficile, parce que les résistants lobi/birifor sans un penseur-coordonnateur de la résistance l’ont réussi aisément. Quant aux citoyens burkinabè, à l’instar des autres habitants lobi ou birifor des villages sous les coups de canons, nous devons savoir que la mort par la faim et la résignation du voisin, annonce irrémédiablement la nôtre par la même voie et même par d’autres causes du fait de son absence pour nous apporter assistance et aide.
Dr Worondjilè HIEN,
Historien
Université Yembila Toguyéni,
Fada N’Gourma
Références bibliographiques :
Kambou-Ferrand (J-M), 1993, Peuples voltaïques et conquête coloniale, 1885-1914, Paris ACCT/L’Harmattan.
Boubié Bazié, 2016, La colonisation des Lobi du Burkina Faso par la France : de l’insoumission au changement social, 1897-1960, Thèse de Doctorat en histoire, Université de Ouagadougou, Ouagadougou.
Hien Worondjilè, 2014, Place et rôle des cultes traditionnels et des pratiques initiatiques dans la résistance des lobi a la colonisation française, 1897-1931, mémoire de maîtrise en histoire, Université de Ouagadougou, Ouagadougou.
Bidima Yamba ; Cros Michèle & Mégret Quentin, 2020, Militance. Pour la connaissance des sociétés du Sud-Ouest du Burkina Faso : Hommage à madeleine Père, Paris, L’Harmattan.