Ce 30 octobre 2024 marque le 10e anniversaire du début de l’insurrection populaire de 2014 qui a mis fin au régime de Blaise Compaoré en place depuis 27 ans. Retour sur ce deuxième soulèvement populaire de l’histoire du Burkina après celui du 3 janvier 1966 qui a contraint à la démission le premier président de l’ex-Haute Volta, Maurice Yaméogo.
Qui l’eût cru ! Un régime vieux de 27 ans qui s’écroule brusquement comme un château de cartes. Un régime que l’on disait adulé et dont le premier responsable, Blaise Compaoré, est élu et réélu, avec souvent des scores soviétiques ou à hauteur d’homme (au moins 80% des suffrages) qui est vomi par le même peuple. Pourtant, c’est ce qui s’est passé le 30 octobre 2014 et les jours suivants.
Les éléments du volcan social qui a explosé en 2014 ont commencé à se mettre en place petit à petit à partir de 2010. A cette date, Blaise Compaoré venait d’être réélu pour un dernier mandat de 5 ans conformément à la Constitution révisée en 2000 pour introduire le quinquennat renouvelable une fois. Mais au fur et à mesure que se profilait la fin du mandat, les partisans du régime ont commencé à parler de la révision de l’article 37 de la loi fondamentale pour sauter le verrou limitatif du mandat et permettre à leur champion de continuer à diriger. Mais c’était sans compter avec l’opposition regroupée autour du chef de l’opposition politique (CFOP) de l’époque, Zéphirin Diabré, ainsi que tous ceux qui rêvaient enfin d’une alternance au sommet de l’Etat.
Des politiques, de simples citoyens, des acteurs de la société civile, vont s’associer pour s’opposer à ce projet de nouvelle révision de la Constitution en son article 37 relatif au mandat du Président du Faso. Des manifestations, notamment des marches-meetings, vont être organisées sous la houlette du CFOP pour dénoncer le projet de révision et le référendum y relatif auquel les partisans du pouvoir appelaient pour départager le peuple. Ces derniers feront aussi une démonstration de force à travers des marches-meetings dans la rue et aussi en remplissant des stades « recto verso avec intercalaire ».
Malgré la forte opposition à son projet et la démobilisation au sein de ses rangs avec le départ de ténors comme Roch Kaboré, Simon Compaoré, Salif Diallo, qui ont rejoint le CFOP en janvier 2014, le pouvoir n’en a cure. Au cours d’un Conseil des ministres spécial, il a adopté un projet de loi portant révision de la Constitution qu’il a décidé d’envoyer à l’Assemblée nationale pour être voté le jeudi 30 octobre 2014.
« Maintenant là, ça passe ou ça casse !»
Le 28 octobre, le CFOP organisait sa dernière marche-meeting au cours de laquelle Zéphirin Diabré a déclaré que « maintenant là, ça passe ou ça casse !».
Les femmes organisent également de leur côté une manifestation dans l’après-midi du 27 octobre à Ouagadougou au cours de laquelle elles ont brandi des spatules. Une première dans l’espace public qui n’augure rien de bon et ceux qui savent interpréter certains faits ont affirmé que c’était fini pour le régime. La suite des évènements leur donnera raison.
Le 30 octobre, jour du vote du projet de loi à l’Assemblée nationale, la voie finalement choisie par le pouvoir en lieu et place du référendum. Contrairement à ses habitudes, la représentation nationale a programmé le vote de la loi dans la matinée à 10h. Pendant ce temps, la foule grossissait dans les rues de Ouaga et tout ce monde convergeait vers l’Assemblée nationale pour empêcher le vote du projet de loi. A coup sûr, celui-ci allait passer comme une lettre à la poste avec la majorité dont disposait le parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), et ses alliés à l’Hémicycle.
Sauve-qui-peut à l’Assemblée nationale
Le cordon sécuritaire mis au tour de l’Assemblée nationale et tenu notamment par des éléments du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) cède. Il est débordé et les manifestants pénètrent dans l’Hémicycle avant le début du vote. C’est le sauve-qui-peut. Les députés sont exfiltrés. Les manifestants s’en prennent aux locaux, les saccagent, pillent et mettent le feu au bâtiment ainsi qu’aux voitures de l’institution et aussi de certains députés. L’Hôtel Indépendance, qui jouxte l’Assemblée nationale, subit aussi la furie des croquants. Son tort ? Avoir hébergé les députés de la majorité présidentielle qui y ont été internés dans la nuit du 29 au 30 octobre 2014. Un peu partout dans la ville ce sont des casses et des incendies d’édifices publics et de domiciles de dignitaires du régime qui était en train d’être balayé. A titre d’exemple, l’entrée principale du bâtiment abritant le studio de la Télévision nationale du Burkina est saccagée. Le siège du CDP, le parti au pouvoir, est incendié ainsi que celui de la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (FEDAP-BC). Les domiciles de François Compaoré, frère de Blaise Compaoré, et de la belle-mère du premier cité, Alizeta Ouédraogo dite Alizet Gando, sont incendiés.
Démission ! Démission !
Dans la cohue, Blaise Compaoré annonce le retrait du projet de loi controversé, la dissolution de l’Assemblée nationale et du gouvernement, l’instauration de l’Etat de siège. Malheureusement, c’était tard et les manifestants étaient devenus maîtres de la ville et se livraient à toutes sortes d’exactions. Ils ont même fait monter les enchères en exigeant maintenant la démission de Blaise Compaoré qui, dans un communiqué, a dit avoir compris le message et va rester en place en attendant l’organisation de l’élection présidentielle de novembre 2015 pour transmettre le pouvoir à son successeur. Après l’Assemblée nationale, ils se sont dirigés vers le palais présidentiel à Ouaga 2000 pour demander le départ pur et simple du maître des lieux. Ce dernier tentera de gagner du temps avant, finalement, de lâcher prise le lendemain vendredi 31 octobre dans un message enregistré et diffusé sur la télévision privée Canal 3. Un règne de 27 ans venait ainsi de prendre fin et de la plus vilaine des manières pour le « beau » Blaise obligé de fuir la capitale vers Fada où il a été exfiltré vers Abidjan en Côte d’Ivoire. Il y réside depuis lors et ne manque sans doute pas de méditer – surtout à chaque anniversaire de sa chute – sur la fin de son long bail à la tête de l’Etat burkinabè.
Blaise Compaoré parti à la surprise même de ses contempteurs qui n’avaient pensé à ce scénario, il fallait bien combler le vide au sommet de l’Etat. La situation est complexe avec l’absence du dauphin constitutionnel, le Président de l’Assemblée nationale de l’époque, Soungalo Appolinaire Ouattara, qui s’est volatilisé dans la nature. Les leaders politiques de l’opposition ne sont pas intéressés dans l’immédiat par le fauteuil présidentiel, préoccupés qu’ils sont par la préparation de l’après-Transition. C’est en ce moment que l’on a pensé à un homme politique comme Arba Diallo qui aurait bien pu faire l’affaire. Malheureusement, ce dernier est décédé en début octobre 2014 sans voir l’aboutissement du combat qu’il a mené aux côtés des autres leaders de l’opposition.
Quand un Lieutenant-colonel brûle la politesse à un Général
Le Général Honoré Nabéré Traoré se proclame chef de l’Etat dans la soirée du 31 octobre en sa qualité de chef d’état-major général des armées. Mais il est coiffé au poteau par un certain Lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zidane, n°2 du RSP qui se proclame lui aussi chef de l’Etat, le 1er novembre, à la Place de la nation de Ouagadougou avec le soutien d’OSC comme le Balai citoyen qui a été à la pointe de la lutte contre la modification de l’article 37 de la Constitution. Toutefois, l’on n’était pas au bout de l’imbroglio. Certes, Honoré Traoré et l’armée se sont rangés derrière le nouvel homme fort. Mais ce ne fut pas le cas de politiciens et de certaines personnes qui voient d’un mauvais oeil le remplacement de Blaise Compaoré par un homme de son sérail, de surcroît un militaire comme lui. Le lendemain 2 novembre, ils se retrouvent à la même Place de la nation pour dénoncer la prise du pouvoir par Yacouba Isaac Zida et demander la remise du gouvernail à un civil.
Trois présidents en une journée
Sur ces entrefaites, Saran Séremé, présidente du Parti pour la démocratie et le changement (PDC), est conduite par des manifestants à la Télévision nationale pour faire une déclaration de prise de pouvoir. Si, en fin de compte, elle n’a fait de déclaration avec l’intervention d’éléments du RSP venus renforcer ceux qui gardent les lieux, ce ne fut pas le cas du Général Kwamé Lougué. Réclamé par la foule amassée au palais du Moogho Naaba pour prendre le pouvoir, il avait décliné l’offre dans un premier temps. Mais, par la suite, il a changé d’avis au regard de la confusion. Il s’est donc rendu à la Télévision nationale où il a pu faire une adresse. Malheureusement, celle-ci n’était pas en direct avec les dégâts sur les installations. Et le Général a dû prendre la tangente avec l’arrivée des militaires du RSP.
Après cette situation ubuesque où il y a eu trois présidents en une journée, Yacouba Isaac Zida consolide son pouvoir avant de le transmettre le 17 novembre au président élu, le diplomate à la retraite Michel Kafando. Ce dernier renverra l’ascenseur en nommant son prédécesseur Premier ministre et en le bombardant Général de division à la fin de la Transition en 205.
Des victimes en attente toujours de justice
Au moment du bilan de ces chaudes journées de fin octobre-début novembre, un comité d’experts mis en place dénombre 24 morts et 600 blessés. Dix ans après, justice n’est toujours pas rendue aux martyrs de l’insurrection populaire.
Cette année encore, un hommage leur sera rendu à travers un dépôt de gerbes par le chef de l’Etat, le Capitaine Ibrahim Traoré, au Mémorial aux héros nationaux le 31 octobre 2024. Cette date est fériée depuis 2015.