Un acte important de l’élection présidentielle ivoirienne d’octobre 2025 a été posé cette semaine. Il s’agit de la publication, le 17 mars dernier par la Commission électorale indépendante (CEI), de la liste électorale provisoire. A peine officialisée, cette liste suscite des débats au regard de l’absence de candidats déclarés ou potentiels à cette présidentielle comme Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé ou encore Guillaume Soro. Les réactions, les déclarations qui fusent depuis lors, la polémique sur la nationalité du candidat et opposant Tidjane Thiam, font peser une hypothèque sur la présidentielle d’octobre prochain.
Ce qu’on peut considérer comme un forcing de Laurent Gbagbo n’a pas marché pour le moment. Tout en sachant qu’il est inéligible après sa condamnation par contumace à 20 ans pour le casse de la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) au temps fort de la crise ivoirienne, l’ancien chef de l’Etat s’est fait tout de même investir en 2024 comme candidat de son parti, le PPA-CI (Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire). Il était le premier à se mettre dans les starting-blocks malgré cette inéligibilité. Si Laurent Gbagbo espérait mettre la Commission électorale indépendante (CEI) devant le fait accompli, c’est peine perdue. Ce que lui-même et ses partisans redoutaient dans leur for intérieur s’est produit : l’absence de Gbagbo de la liste électorale provisoire publiée par la CEI le 17 mars 2025 pour cause d’inéligibilité suite à une condamnation judiciaire. Une autre personne dans cette situation passée également à la trappe est Charles Blé Goudé, président du COJEP (Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples). Guillaume Soro, ex-Premier ministre et ex-Président de l’Assemblée nationale, a été aussi ostracisé pour cause de condamnation Jusque-là, il n’a pas fait acte de candidature mais nul doute qu’il ne manquerait pas ce rendez-vous majeur s’il n’y avait pas d’obstacles sur sa route.
Ces absences pour les uns, exclusions pour les autres, ne finissent pas de faire réagir. Les intéressés ou leurs partis et militants ne cessent de dénoncer la liste électorale provisoire, de rejeter l’absence des ténors, candidats potentiels ou déclarés à l’élection présidentielle d’octobre 2025. Ainsi, au lendemain de la publication de la fameuse liste, Alphonse Dano Djédjé, directeur exécutif du parti de Laurent Gbagbo, a réagi en faisant savoir que « le PPA-CI est prêt à maintenir son mentor jusqu’au bout ». Il met en avant l’acquittement de Laurent Gbagbo par la Cour pénale internationale (CPI) en 2021 pour dire que ce dernier est désormais éligible et ne saurait être exclu de la liste. Les députés du PPA-CI ont même quitté une séance de l’Assemblée nationale le 19 mars pour protester contre l’évincement de Gbagbo de la liste électorale.
Non, non et non !
Charles Blé Goudé n’est pas resté sans réaction. Il a fait savoir à qui veut l’entendre qu’« on ne peut pas m’enchaîner politiquement pour m’empêcher de participer à la vie politique de mon pays ». Il s’est dit convaincu que « cette décision de radiation de mon nom sur la liste électorale est basée sur du faux » avant d’informer que lui et les siens vont déposer des recours contre la liste de la CEI. Son parti, le COJEP, a aussi donné de la voix. « Il ne faut pas que le pouvoir en place donne l’impression qu’il se choisit ses adversaires. C’est un mauvais sentiment. C’est un mauvais message qui est envoyé à la population, à ceux des Ivoiriens qui se reconnaissent dans ces leaders qui sont écartés », a réagi Me Serge Ouraga, porte-parole du COJEP. Il espère que les recours qui seront formés vont porter fruit c’est-à-dire aboutir à l’inscription du “Général de la rue” sur la liste électorale définitive qui est attendue aux alentours du 20 juin prochain.
De son côté, Guillaume Soro a exigé, le 19 mars dernier, la réintégration de son nom ainsi que ceux de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé sur la liste électorale. Il a aussi demandé « la fin des manipulations judiciaires et administratives visant à éliminer des concurrents politiques ». « La Côte d’Ivoire appartient à son peuple, pas à une poignée de dirigeants prêts à tout pour se maintenir au pouvoir », a-t-il ajouté.
En signe de solidarité avec les exclus de luxe, l’ex-Première dame Simone Gbagbo, candidate non ostracisée, a estimé que « la seule solution, c’est que le président de la république fasse adopter une loi d’amnistie par l’Assemblée nationale ».
Quid de Tidjane Thiam ?
Les gorges chaudes consécutives à la publication de la liste électorale provisoire ont éclipsé la polémique sur la nationalité du président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Tidjane Thiam. Le Rassemblement des houphouëtistes pour la paix (RHDP, parti au pouvoir) n’a cessé de pointer sa double nationalité française et ivoirienne pour finir par le trouver pas suffisamment Ivoirien pour prétendre diriger la Côte d’Ivoire. Sa renonciation à la nationalité française au profit de celle exclusivement ivoirienne n’avait pas fait cesser les attaques sur ses origines.
Maintenant, on peut dire que l’étau se desserre autour de lui avec la publication de la liste électorale provisoire – sur laquelle figure son nom – et celle du décret relatif à sa renonciation de la nationalité hexagonale, ce 20 mars, au Journal officiel français. Fort de ces nouvelles donnes, il a commencé à régler ses comptes, à attaquer la gestion et le bilan du parti au pouvoir. Dans une interview cette semaine à la télévision française France 24, il a déclaré que « ma nationalité, c’est une diversion. On essaie de faire de moi le sujet de cette campagne. (…) Le vrai sujet, c’est le bilan de 15 ans de gouvernement, quand on demande à en avoir 5 de plus ». Il a aussi moqué l’endettement du régime en place pour construire notamment des ponts : « emprunter en dollars ou en euros pour construire un pont à péage à Abidjan, alors que les recettes sont en francs CFA, n’a pas de sens. »
Voilà ce qui agite actuellement le landerneau politique ivoirien à un peu plus de sept (07) mois de la présidentielle. Qu’est-ce qui pourrait bien se passer si le contentieux électoral n’aboutit pas à l’inscription des candidats potentiels ou déclarés exclus de la liste électorale ? Le pouvoir actuellement en place à Abidjan pourra-t-il se défendre des accusations d’élimination d’adversaires pour ouvrir un boulevard à Alassane Ouattara pour un quatrième mandat ? Qu’adviendrait-il de la paix sociale et du bon déroulement du scrutin si Alassane Ouattara, qui fait mystère de sa candidature pour le moment, est “bientôt investi” comme l’a fait savoir son parti cette semaine ? Ce “bientôt” pouvant être le congrès du RHDP prévu en mai prochain.
Il y a une grosse hypothèque qui pèse sur l’élection et fait craindre des troubles socio-politiques sur les bords de la Lagune Ebrié. Gageons qu’il n’en sera rien avec une bonne gestion du contentieux lié à la liste électorale et la bonne prédisposition du parti au pouvoir à décanter la situation le plus rapidement possible. Le problème d’exclusion de candidats ne peut être résolu que sur le plan politique à travers une loi d’amnistie. C’est ce que Laurent Gbagbo a fini par faire quand il était au pouvoir pour permettre à un certain Alassane Ouattara, empêché d’être candidat par la Constitution, de se mettre en lice pour la présidentielle de 2010. En sera-t-il le cas une fois de plus quinze (15) après ?