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Tchad : Les vieux démons ont la peau dure

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La nuit du 8 au 9 janvier 2025 a été mouvementée à N’Djamena, la capitale tchadienne. Des coups de feu ont été entendus dans les parages du palais présidentiel avant qu’on apprenne qu’il s’agit d’une tentative de déstabilisation qui a été vite maîtrisée. Cela fait penser à un retour des vieux démons dans ce pays habitué à la rébellion et aux coups d’Etat.

Attaque du palais présidentiel au Tchad dans la nuit du 8 au 9 janvier 2025

La première semaine de l’année 2025 est marquée au Tchad par des crépitements d’armes. Des tirs ont retenti en début de soirée du 8 au 9 janvier dans les parages du palais présidentiel à N’Djamena. Très vite, on a pensé à une attaque terroriste ou à un coup d’Etat contre Mahamat Idriss Déby Itno (MIDI), élu chef de l’Etat à l’issue de la présidentielle de mai 2024.

Quelque temps après, le ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement, Abderaman Koulamallah, a posté une vidéo sur sa page Facebook relative à l’attaque. Pistolet à la ceinture, il a assuré être au palais présidentiel et que « la situation est sous contrôle ». Attaque terroriste, tentative de déstabilisation ? Le flou a persisté jusqu’à ce que le même porte-parole du gouvernement revienne, sur un plateau de télévision, faire cas de « pieds nickelés », au nombre de la vingtaine, qui ont attaqué par surprise, avec des armes blanches et à feu, un poste de garde après avoir surgi d’un mini car immobilisé devant le palais présidentiel en simulant une panne. Dans les échanges de tirs, 18 assaillants ont été abattus et 6 autres capturés, selon M. Koulamallah.

A la suite du porte-parole du gouvernement, c’est le Procureur de la république du Tchad, Oumar Mahamat Kedelaye, qui a publié un communiqué dans lequel il a confirmé ce qui a été dit jusque-là sur les faits. Il a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les évènements survenus qu’il a qualifiés de « crimes d’assassinat, de coups et blessures volontaires, de tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel, d’atteinte aux institutions de l’Etat, à la sûreté de l’Etat, de complot contre l’Etat et de participation à un mouvement insurrectionnel ».

Cette attaque a eu lieu au moment où le Tchad a rompu les accords de défense qui le lient depuis 1960 à la France, l’ancienne puissance coloniale. La conséquence de cette dénonciation est que l’armée française doit plier bagage au plus tard le 31 janvier 2025, « une date non négociable », comme le font savoir les autorités tchadiennes. Depuis lors, ce n’est plus tout à fait le parfait amour. Le désamour s’est même accru avec les récents propos du président français Emmanuel Macron qui, devant les ambassadeurs de la France dans le monde, a déclaré que le départ des militaires hexagonaux de l’Afrique a été négocié par certaines autorités. Faux, a notamment rétorqué N’Djamena qui a assuré avoir pris la décision de manière souveraine.

Sur le même sujet, et comme par prémonition, le jeune chef d’Etat tchadien, MIDI, dans son message du nouvel an, n’écartait pas la possibilité d’une déstabilisation de son pouvoir pour cet « affront ». « Je sais que nous allons être combattus. J’ai pleinement mesuré les conséquences sécuritaires, économiques, diplomatiques et médiatiques qui peuvent découler de cette décision historique. Nous n’avons pas écarté la possibilité que nos propres compatriotes vont, malheureusement, être utilisés pour essayer de déstabiliser notre pays », avait déclaré le Maréchal Mahamat Idriss Déby Itno.

Il est donc difficile de ne pas faire le lien entre la rupture des accords de défense avec l’ancienne métropole et cette attaque, fût-elle l’œuvre de « pieds nickelés ». L’ombre de l’ancien maître va planer, sa silhouette sera vue derrière cette équipée aventureuse, visiblement plus loufoque que sérieuse. Que ce dernier ait vraiment voulu punir son ancienne colonie ou pas, qu’il ait activé des leviers ou pas, les regards, inexorablement vers lui comme la Tour de Pise qui penche toujours du même côté. Il est indexé, condamné, avant même d’avoir eu le temps de se défendre. Certes, l’enquête ouverte nous situerait peut-être sur les motivations et les commanditaires. Mais elle ne manquerait pas d’être décriée si jamais elle ne confirme pas les soupçons, les accusations des procureurs auto-proclamés.

Toutefois, faut-il vraiment en vouloir à tous ceux qui pointent déjà un doigt accusateur si celui qui est mis à l’index semble prêter le flanc ? Absolument pas ! La posture et surtout le discours du mis en cause font de lui un coupable idéal qui n’a pas compris la soif de changement, de rupture, de la jeunesse africaine. Laquelle ne cesse de crier, de faire savoir que « plus rien n’est comme avant », que les temps, ou plus exactement, les mentalités ont changé.

Si les Tchadiens veulent changer, les vieux démons, eux, refusent de le faire et veulent rester tels. Ils ont la peau dure et ont tendance à ressurgir chaque fois. Les évènements de ce début de nouvel an rappellent beaucoup d’autres qui se sont produits sous le long règne (30 ans) de Déby père (Idriss Déby Itno). En trois décennies de pouvoir, il a vu des vertes et des pas mûres en termes de rébellion ou de tentatives de coups d’Etat. Mais à son époque, il pouvait compter sur le soutien de la France, présente sur le sol tchadien avec des militaires, au nom des accords de défense. Plus d’une fois, Paris lui a sauvé la mise en empêchant qu’il soit renversé. L’exemple le plus illustratif est celui de 2008 où les rebelles étaient à la porte du palais présidentiel, au cœur de N’Djamena, à un doigt de prendre le pouvoir qui était vacillant. Ce sont les militaires français qui sauveront le fauteuil présidentiel en cassant du rebelle.

Aujourd’hui, la donne a changé. Non seulement Déby père n’est plus au pouvoir après son assassinat en 2021 au front en combattant des rebelles, mais aussi le fils ne veut plus de cette présence militaire protectrice et dissuasive. Il veut compter sur l’armée nationale tant pour la protection de son pouvoir que pour lutter contre la rébellion, une plaie de son pays depuis l’indépendance, et les terroristes de Boko Haram qui font des incursions meurtrières au Tchad à partir de leur foyer nigérian.

Les derniers événements, quoique malheureux, prouvent qu’il ne s’est pas trompé en décidant de rompre le cordon ombilical, sur le plan militaire, avec le coq gaulois. Si l’objectif visé est de lui faire regretter sa décision, on peut dire que c’est raté.  Pour le moment, en tous cas.

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