Quand Poko a embarqué dans le bus à Divo en Côte d’Ivoire pour Ouagadougou au mois d’octobre 2019, elle ne savait pas exactement pourquoi elle revenait au pays ni ce qui l’attendait. Elle a quitté le Burkina depuis qu’elle était bébé au dos de sa maman qui accompagnait son papa dans son aventure pour la Côte d’Ivoire. Elle aura vécu des moments très difficiles car ayant échappé de justesse à une excision qui allait transformer le reste de sa vie.
Quand le bus s’est stationné à la gare routière de Tampouy, il faisait déjà nuit mais sa tante Christine qui n’est autre que la grande sœur de son papa était déjà là pour la recevoir.
La tante de Poko habite à Pazani un quartier non-loti à la périphérie Nord de Ouagadougou. Elle se débrouille dans le petit commerce pour appuyer son époux qui est un vigile dans une entreprise au centre de Ouagadougou. Quand Gustave quitte très tôt le matin il revient après 23 heures et parfois c’est le contraire. Poko n’est jamais allé à l’école à Divo où elle vivait avec ses parents. Elle aidait donc sa tante dans les tâches ménagères et de temps à autre elle allait au petit marché de Pazani pour payer les condiments à la demande de sa tante.
Le temps passait et elle a commencé à s’habituer aux filles du quartier et s’est faite quelques amies avec lesquelles elles allait s’amuser quand les tâches domestiques sont finies.
Le père de Poko appelle au téléphone de temps à autre sa tante pour discuter de certaines choses. Souvent elle a l’occasion de prendre le téléphone de sa tante pour saluer les parents mais pas à tout moment. Un jour elle a suivi une conversation pendant laquelle sa tante disait : « Tu sais bien qu’on envoie les gens en prison pour ça maintenant ici ? il faut bien se cacher pour faire et prier Dieu que ça se passe bien. Aujourd’hui c’est vraiment difficile mais je vais trouver une solution au village. Tu ne seras pas déçu… » Aussi naïve qu’elle à 13 ans, elle ne s’est jamais mise dans sa tête que le sujet avait un rapport avec elle et sa vie. Elle vivait donc sa vie jusqu’au jour où les autorités ont décrété le couvre-feu à partir de 19 heures et des restrictions de mouvements qui même si elles ne sont pas bien ressenties dans le quartier, dans les radios et à la télé on ne parle que de Covid 19.
La maladie à Coronavirus est arrivée au Burkina et il faut adopter des mesures sanitaires pour éviter la propagation. Le marché de Pazani est temporairement fermé et la tante de Poko passe plus de temps à la maison.
Un soir, sa tante l’informe que pour éviter cette pandémie qui tue beaucoup de gens, elle doit continuer au village pour rester quelques jours avec les parents. Ainsi elle sera en sécurité et connaitra mieux le village. Dès qu’il y aura de bonnes nouvelles par rapport à la maladie, elle reviendra. Poko ne connaissant personne au village demanda si sa tante l’accompagnerait. Christine s’excusa de ne pas pouvoir l’accompagner mais quelqu’un viendra la chercher à moto le lendemain.
La même nuit, le papa de Poko appelle sa tante et elle entend : « Il faut qu’on profite de la nouvelle maladie, c’est une grande opportunité pour nous. Les autorités sont préoccupées par la maladie et Ouagadougou est en quarantaine. J’ai pris un rendez-vous pour elle pour demain… »
Poko demanda alors à sa tante : « Pourquoi dans la cour, c’est moi seule qui doit aller au village ? Si c’est à cause du Covid-19, pourquoi mes cousines n’y vont pas ? Sa tante répondit que la semaine qui suivra ce serait leur tour. Les gens au village ne peuvent pas recevoir beaucoup de personne au même moment. Elle préfère la mettre à l’abris avant ses propres enfants.
Le lendemain effectivement, un monsieur qu’on appelait Charles est venue me prendre à la maison pour m’amener au village. On n’a pas pris de goudron pour arriver au village. On a faufilé entre les arbustes sur les pistes pour arriver. Quand je suis arrivée, on m’a confié à une famille et le deuxième jour, on m’amena chez une vielle. Une fois sur les lieux, j’ai commencé à comprendre ce qui se tramait autour de moi. J’ai demandé à la dame ce qu’elle faisait avec ces lames et ces objets tranchants. Elle m’a répondu qu’elle arrange les jeunes filles avec. Après cela, elles deviennent des femmes dignes pour le reste de leur vie. Tes parents ne t’ont pas informé que tu venais pour te purifier ? Non, non je ne suis pas au courant, ma tante m’a simplement informé que c’est à cause de la pandémie du covid-19, que je suis venue pour mieux être à l’abri et profiter connaitre les membres de la famille comme je suis venue de la Côte D’Ivoire.
La dame répondit en riant tu es vraiment une ‘’TABOUGA’’(terme que les mossi utilisent pour qualifier ceux qui sont venus de la Côte D’Ivoire ou du Ghana). Par la suite, elle tentera de me convaincre que cette pratique-là permettra d’être à l’abri des mauvais sorts mais qu’elle me comprend. « Comme tu n’as pas grandi ici tu ne peux pas comprendre… »
Elle fit appel à deux autres femmes qui nous rejoignirent dans la case pour me forcer à accepter en me disant que cette pratique est obligatoire pour toute femme et que je n’allais pas faire l’exception. Les femmes m’approchèrent avec un fouloir noir pour me bander les yeux afin que je ne vois pas les instruments qu’elles utilisent pour leur pratique. J’ai poussé un grand cri, en les disant que je vais appeler l’action sociale et la gendarmerie, c’est dans ce climat que la vieille dame qui devait me mutiler dit aux deux autres de se retirer. Quand elles se sont retirées, elle a essayé une fois de plus de me convaincre mais je criais encore plus fort.
Soudain, son téléphone sonna. Elle sort décrocha l’appel et reviens me dire. Je n’aime pas les situations compliquées. Il faut aller voir ta tante vous allez régler vos problèmes. Ces filles de la diaspora nous créent toujours des ennuis. Si je savais, je n’allais jamais te recevoir. Sauve-toi. Il faut retourner d’où tu viens. Mais je te donne un conseil, si tu ouvres la bouche, on a un fétiche ici qui va te tuer. Ta tante est au courant et c’est elle qui t’a amené ici.
Quand je suis repartie dans la maison où j’ai passé la nuit, quelques heures après, Charles est revenu me prendre avec sa moto et on est retourné à la maison à Ouagadougou. J’ai tellement pleuré que lorsque je suis arrivé à la maison j’avais mal aux yeux.
Ma tante pour tout commentaire me suppliait de me taire car c’était juste pour mon bonheur qu’elle m’avait envoyé chez la vieille dame. Mais m’avertit alors que ce qui s’est passé doit rester un secret sinon le fétiche du village va m’emporter très jeune. J’ai répondu que je n’avais rien fait au fétiche pour avoir peur. Je vais aller à l’action sociale pour vous dénoncer. Si tu fais cela tu vas quitter la maison et tu sauras de quel bois je me chauffe menaça t’-elle.
Quand tonton est arrivé la nuit de son travail, je l’ai informé ce qui m’est arrivée et il a été très en colère contre ma tante. Je t’ai toujours dit de ne pas t’amuser avec ces genres d’histoires. Aujourd’hui les autorités ne s’amusent plus avec les pratiques de mutilations génitales. Tu t’entête toujours à aller au village pour continuer. Tu seras seule responsable de ce qui va arriver un jour. Sur ces menaces, je vois ma tante rétorquer en disant que c’est mon papa qui l’a demandé de faire depuis longtemps mais c’était très difficile. Elle voulait profiter de la maladie à Coronavirus pour le faire mais ça n’a pas marché.
Mais mon oncle de dire alors que si c’est pour l’excision que je suis venue de la Côte d’Ivoire, alors dès l’ouverture de la frontière je vais repartir chez mes parents. « J’ai été très soulagé de voir que mon oncle a condamné le comportement de ma tante et ce qui m’a calmé dans mon intention d’aller dénoncer.
Voici mon histoire, jusqu’à présent l’idée me viens souvent d’aller les dénoncer mais j’ai décidé ne pas en parler jusqu’au jour où je me suis confiée à la maman d’une amie qui est enseignante et qui habite dans le même quartier. Elle nous donne beaucoup de conseils sur la sexualité et comment nous on devient une femme. C’est elle qui m’a dit que je pouvais en parler avec toi car tu vas garder le secret pour protéger ma tante… »
Ce récit très pathétique de Poko montre à quel point la pratique des mutilations génitales est encore encrée dans les uses et coutumes de certaines personnes qui veulent utiliser la pandémie du Covid-19 pour s’adonner à une pratique condamnée par la loi et sévèrement réprimée.
Notre petite enquête a montré que l’avènement du covid-19 a beaucoup contribué à l’augmentation de la pratique dans les villages et même dans les centres urbains. Poko a simplement eu une grande chance et l’a échappé belle. Mais combien de jeunes filles auront la même chance dans des cas similaires ?
La lutte contre les mutilations génitales est une lutte de longue haleine, qui nécessite l’implication de toute la communauté. La pratique ne doit pas cesser simplement parce qu’elle est réprimée. De notre point de vue le travail d’information, d’éducation et de sensibilisation doit se poursuivre afin que hommes et femmes se convainquent de la nécessité de mettre fin à cette pratique sans aucune contrainte extérieure.
Beaucoup de jeunes filles ont perdu la vie à cause de la pratique. C’est pour cela qu’il faut saluer toutes les initiatives qui se développent aussi bien de la part du gouvernement que du côté des ONG et autres institutions internationales qui soutiennent les actions du Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision (SP/CNLPE) afin d’éradiquer la pratique au Burkina Faso.
La presse a un rôle important à jouer aussi bien dans la sensibilisation que dans la dénonciation des personnes qui ont encore l’oreille dure pour comprendre l’intérêt de son abandon. Du reste, les leaders et responsables religieux et coutumiers ont unanimement accepté que l’excision n’a aucun fondement solide qui justifie sa poursuite. Jetons alors les couteaux et les lames pour le bonheur de la jeune fille et donc de toute l’humanité.