Dans cet entretien, Guy Olivier Ouédraogo, secrétaire général de la Confédération Syndicale Burkinabè (CSB) et président du mois de l’Unité d’Action Syndicale (UAS) nous donne sa lecture sur l’actualité du moment au Burkina Faso à savoir : la lutte des mouvements syndicaux sur les droits des travailleurs, le remboursement des salaires suspendus annoncé par le gouvernement, la réconciliation nationale, la lettre de demande de pardon de l’ex président du Faso Blaise Compaoré au peuple Burkinabè et à la famille Sankara et la question de la justice. Lisez plutôt !
Aconews : Comment avez-vous accueilli le coup d’Etat du 24 janvier dernier ?
Guy olivier : Suite au coup d’Etat du 24 janvier dernier comme vous le saviez, nous avons fait une déclaration au niveau de l’Unité d’Action Syndicale (UAS) pour donner notre lecture. Et dans cette déclaration nous avons condamné. Nous sommes pour la démocratie et les valeurs qui l’accompagnent. A l’époque nous avons repris la pensée de Winston Churchill (ancien premier ministre du Royaume-Uni de 1940 à 1945) qui dit: « la démocratie, c’est le moins mauvais des régimes » et par principe nous avons condamné le coup d’Etat.
Aconews : Aujourd’hui, comment jugez-vous la gestion du président Damiba, six mois après sa prise du pouvoir ?
Guy olivier : Je pense que le président Damiba est venu en promettant à la population le retour à la normale, c’est à dire que, la sécurité sera de retour, les personnes déplacées internes retourneront dans leur village. Et même quand il a rencontré l’UAS le 27 janvier, il nous a relaté que sa motivation était l’insécurité grandissante. Aujourd’hui force est de constater que l’insécurité a pris de l’ampleur et aussi en plus de cette insécurité s’ajoute une inflation galopante. Donc le bilan n’est pas satisfaisant et ça, c’est un fait que bon nombre de populations constatent et nous n’avions pas à rajouter.
Aconews : Au regard de ce que vous avez dit sur la situation sécuritaire, peut-on dire que vous regrettez aujourd’hui le coup d’Etat ?
Nous n’avons pas à regretter ou à n’est pas regretter, vous savez l’histoire d’un peuple est complexe, ce n’est pas notre rôle de regretter, notre rôle c’est un rôle de veille, défendre les intérêts moraux et matériels des travailleurs. Et en tant que mouvement syndical, travailler à ce que le peuple Burkinabè aille de l’avant et que certaines valeurs soient construites, qui va permettre au peuple de pouvoir jouir des fruits de son travail. C’est ce qui est important, ce n’est pas à nous de regretter mais le peuple, ce qui est sûr, nous ne pouvons pas dire que nous avons la mainmise sur tout ce qui se passe et se passera dans ce pays mais nous avons nos valeurs que nous défendons.
Aconews : On a vu dans le gouvernement Damiba votre camarade de lutte Basolma Bazié qui a été nommé ministre de la fonction publique, que ressentez-vous ?
Guy olivier : A l’époque nous l’avons dit, Il est parti à titre personnel, il ne nous a pas consulter. Nous n’avons pas ressenti quoi que ça soit, il est libre comme tout citoyen, il assume ses actes. Mais sa présence dans le gouvernement ne voudra pas dire que nous allons changer un tant soit peu notre manière de lutter et les valeurs qui fondent le syndicalisme général et en particulier, le syndicalisme Burkinabè.
Aconews : Ne voyez-vous pas cela comme une trahison de sa part ?
Guy olivier : De toute façon, je laisse camarade Basolma Basier à ses propres mots. Le peuple Burkinabè a assez suivi et lu ses déclarations quand il était secrétaire général de la CGTB, sur les valeurs qu’il défendait et aujourd’hui il a changé de position. Je laisse tout un chacun faire son jugement. Moi Je n’ai pas d’état d’âme à ce niveau, je ne peux pas le juger. Tout ce que je sais est que les propos qu’il tenait et là où il est aujourd’hui, il y’a beaucoup de contradiction, je m’en tiens au fait, je ne peux pas m’exprimer sur des sentiments. Ce qu’il disait quand il était avec nous est contraire à ce qu’il prône aujourd’hui, ça, c’est une réalité. Maintenant s’il se sent à l’aise dans des contradictions, nous n’allons pas le juger. Lui seul sait pourquoi il est parti au gouvernement.
Aconews : A la fin de son mandat, pourra t-il toujours revenir servir le syndicat ?
Guy olivier : C’est au camarade de la CGTB son syndicat d’origine de décider, c’est vrai que l’unité d’action syndicale est une faitière mais composés de centrales syndicales et des syndicats libres.
Aconews : Les travailleurs du Burkina vivent-ils les mêmes difficultés avec l’avènement du régime Damiba que les périodes avant ?
Guy olivier : Il faut regarder les choses à deux niveaux, il y a ce que nous appelons l’aspiration profonde des organisations syndicales que nous sommes, cette aspiration est un projet de société où la démocratie est consacrée sur un projet de société ou le social est mis en avant. Aujourd’hui au Burkina Faso les vrais problèmes qu’on a sont entre autres, la mauvaise répartition de la richesse, l’injustice sociale, l’impunité, la corruption. Ça nous a amené tous à être des inciviques, des apatrides, à ne plus croire à la solidarité. Voilà le tableau sombre dans lequel nous vivons. Est-ce que les autres régimes ont travaillé à comprendre cela ? et a apporté des solutions? je ne crois pas. Est-ce que le régime actuel le comprend ? je crois encore moins. La preuve est qu’ils se sont rapidement servis et quand vous vous servez, de quoi allez-vous encore parler ?
Aconews : Ils se sont servi comment ?
Guy olivier : Les inégalités sociales de la répartition des richesses, c’est ça, la base du problème au Burkina, les uns mangent et les autres regardent ainsi naissent les révolutions.
Aconews : Quand vous dites qu’ils se sont servis vous faites allusion à quoi ?
Guy olivier : La multiplication de leur salaire par deux, est-ce que c’est décent aujourd’hui de multiplier son salaire par deux en prétextant l’inflation alors que le SMIG que nous demandons de revaloriser depuis 2008 peine à se réaliser. Est-ce que vous pensez qu’avec ça, on peut établir une confiance avec la population ? ce n’est pas possible, l’exemple vient de là-haut. Je vous dis, tous les maux du Burkina aujourd’hui c’est la mauvaise répartition de la richesse je le clame haut et fort.
A mon humble avis, je ne pense pas qu’on est sur ce sentier de refondation clamé au début par le régime du MPSR mais sur autre chose. Si on n’avait pas tué ce patriotisme en nous, est-ce que, dix mille ou quinze mille personnes sur motos peuvent intimidés vingt un million d’habitants ? je ne crois pas, l’Ukraine nous donne l’exemple, leur pays nourrit le monde bien qu’il soit quarante millions d’habitants. Ils sont prêts à défendre leur terre face à la deuxième armée du monde qui est la Russie. Nous en tant que mouvement syndicale on rappel à chaque régime qui s’installe d’être très regardant sur la répartition des biens, regarder les questions de justice sociale, travailler à bannir les inégalités sociales, travailler à lutter contre la corruption, l’impunité et vous verrez que le peuple va se redresser et une fois que le peuple se redresse, c’est lui qui fait sa propre transformation et c’est le peuple qui se défendra à travers les institutions fortes.
Aconews : Le remboursement des salaires suspendus annoncé par le gouvernement est-il une victoire pour les syndicats ?
Guy olivier : Je dirai que c’est une publicité, parce que pour nous, il y’a rien de spécial, ceux qui ne sont pas aller en grève pour des raisons ou pour une autre on ne doit pas suspendre leurs salaires ou quoi que ce soit. La grève est une suspension temporaire de travailler et quand nous allons en grève, nous nous attendons à une suspension de salaires. Donc c’est le prix à payer parce que si nous allons en lutte il faut s’attendre à tout. Maintenant ceux qui ne sont pas aller en grève parce qu’ils étaient en congés et autres ont fait recours à la justice et elle a ordonné de les rembourser ce qui leur revenait de droit. En réalité il y’a rien de nouveau.
Mais il y’a eu un amalgame à quelque part qui a voulu faire croire au gens qu’on remboursait intégralement tous ceux qui étaient allés en grève. Et malheureusement beaucoup n’ont pas bien cerner la dernière phrase de la lettre du premier ministre qui indiquait clairement qu’il faut apporter des preuves qui prouve que tu n’es pas aller en grève. J’ai vu des camarades qui sont venus vers nous pour nous demander comment on apporte les preuves, je leur ai demandé est-ce que vous êtes aller en grève ? Ils ont dit oui, je leur dis si vous êtes allés en grève vous n’êtes pas concernés.
Aconews : Qu’attendez-vous exactement de ce nouveau régime ?
Guy olivier : Ce qu’on attend de ce régime, c’est ce qu’ils ont promis au peuple à leur avènement au pouvoir à savoir : la sécurité, que chacun puisse repartir chez lui et qu’ils trouvent des solutions sur l’inflation parce que si vous servez et vous oubliez les autres, vous voyez que c’est indécent et nous, en tant que syndicats c’est de notre rôle de les rappeler sur leur devoir. A ce qu’on sache, ils ne sont pas venus pour eux-mêmes, ils prétendent qu’ils sont venus pour le peuple, ce n’est pas nous qui le disons ce sont les faits.
Aconews : L’ancien président Blaise Compaoré est revenu, au Burkina, le 8 juillet dernier et cela a créé beaucoup de polémiques, pensez-vous qu’on a piétiné la justice ?
Guy olivier : Nous étions tous aux états généraux de la justice en 2015 d’où est sorti le pacte national sur la justice, et qui a débouché sur l’indépendance de la justice, donc ce n’est pas nous qui le disons c’est une réalité, et c’est un devoir pour le président du Faso de faire respecter la justice. On n’a pas besoin de réfléchir que le président actuel remet en cause l’indépendance de la justice.
Aconews : Le président Damiba est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat et il a prêté serment devant le conseil constitutionnel, n’était-il pas prévisible qu’il allait piétiner la justice en la modelant à sa guise ?
Guy olivier : Cela aussi nous l’avions dénoncé dès le début, à savoir dans notre première déclaration après le putsch pour dénoncer cette pratique. Il y a des moments où il faut parler avec le peuple, mais à l’époque on nous pas écouté et voilà ce qui se passe aujourd’hui.
Aconews : Le mardi 26 juillet 2022, le porte-parole du gouvernement a lu une lettre de Blaise Compaoré qui stipulait qu’il demandait pardon au peuple Burkinabè et à la famille Sankara, quel commentaire en faites-vous ?
Guy olivier : Je n’ai vu la lettre que ce matin, personnellement au niveau de l’UAS, nous n’avions pas encore analysé la lettre pour donner notre position. Mais ce que nous avons dit dans nos déclarations précédentes, si vous avez une bonne mémoire en mars 2001 le pardon a été demandé par tout le monde et même des pigeons qui ont refusé de voler ont été lancés, parce qu’on ne ment pas avec la nature, les pigeons savaient ce qui allait arriver après, c’est sur cette base que nous avons parlé de triptyque vérité, justice et réconciliation.
Aconews : Présentement les dirigeants sont dans la dynamique de la réconciliation nationale, qu’en pensez-vous ?
Guy olivier : Nous l’avons toujours répété le peuple est fort, ce sont les institutions et les valeurs qui nous incarnent, « il n’y a pas d’hommes forts, il n’y a que des institutions fortes qui fondent une vraie nation », je paraphrase Barack Obama. Il faut que nous revenions à nos valeurs en travaillant à diminuer l’injustice sociale en répartissant équitablement les richesses, diminuer les inégalités et cet exemple doit venir du sommet pour que le peuple ait à nouveau confiance aux dirigeants et le reste va suivre. C’est là qu’on deviendra une grande nation.
Aconews : votre mot pour la fin de notre entretien ?
Guy olivier : Je demande aux travailleuses et travailleurs du Burkina Faso de nous faire confiance et de nous rester toujours fidèles, car ce sont ceux qui luttent qui détiennent la vérité.