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Troisième mandat au Bénin : Patrice Talon pourra-t-il résister longtemps aux appels du pied ?

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L’élection présidentielle est prévue pour avril 2026 au Bénin. A un peu plus d’une année de sa tenue, le scrutin est déjà dans les esprits et les débats dans ce pays. Les attentions sont focalisées sur l’éventualité d’un troisième mandat du président actuel Patrice Talon. Bien que ce dernier soit à son second et dernier mandat, malgré les déclarations de l’intéressé qu’il ne briguerait pas un troisième mandat, le débat sur le sujet est loin de s’estomper. Tout récemment, le chef de l’Etat béninois a accordé une interview à l’hebdomadaire Jeune Afrique dans laquelle il faisait cas de son agacement sur cette question. Pourquoi Patrice Talon peine-t-il à convaincre de sa bonne foi ? Pendant combien de temps va-t-il résister aux appels du pied de ses partisans pour un mandat supplémentaire ?

Patrice Talon

En Afrique, il est rare de voir un chef de l’Etat dire à qui veut l’entendre qu’il n’est pas candidat à sa propre succession alors que l’élection est encore loin. On peut dire que le président béninois Patrice Talon fait dans la rupture en la matière. La présidentielle est prévue pour avril 2026. Mais d’ores et déjà, il martèle qu’il ne sera pas candidat, qu’il s’en ira au terme de son second et dernier mandat. Il vient de le faire savoir une fois de plus dans une récente interview à l’hebdomadaire Jeune Afrique.

« Une énième fois, je vous le redis : non, je ne serai pas candidat. (…) Cette question m’agace. J’ai moi-même renforcé la Constitution pour stipuler que nul ne pourra exercer plus de deux mandats dans sa vie », fait savoir Patrice Talon dans l’interview. Pour lui, il est en train d’être temps de passer la main : « Maintenant que le Bénin a atteint son altitude de croisière, il est temps de changer de pilote. » Avant cette sortie dans l’hebdomadaire panafricain, l’actuel locataire du Palais de La Marina avait dit que « la question d’un troisième mandat était derrière nous ». Il avait ajouté que « nous savons tous qu’il est interdit de toucher la Constitution surtout l’aspect lié au nombre de mandats. C’est clair dans la tête de tous ».

 Pourtant, ce qui est clair pour lui ne l’est pas pour tout le monde surtout certains de ses partisans. Beaucoup d’entre eux le poussent à briguer un troisième mandat malgré les dispositions constitutionnelles qui sont assez claires, strictes, précises sur le mandat présidentiel. Ainsi, le premier alinéa de l’article 42 de la Constitution dispose que « le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois ». Comme si cela ne suffisait pas, l’alinéa 2 du même article précise qu’« en aucun cas, nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats de Président de la République ».

La carte de la révision constitutionnelle

Ceux qui poussent le président sortant à se représenter n’ignorent pas ces dispositions claires de la Loi fondamentale. Ils n’ignorent pas non plus que Patrice Talon, élu une première fois en 2016 et réélu en 2021, est à son dernier mandat. Ils jouent plutôt une carte pour remettre les compteurs de leur champion à zéro : la révision de la Constitution en 2019 même si elle n’a pas touché la limitation du mandat présidentiel. Pour eux, avec cette révision, le Bénin est passé à une nouvelle République et cela donne la possibilité au président en place de briguer deux autres mandats. Mais la Cour constitutionnelle n’est pas de cet avis.

En fin janvier, la haute juridiction a été saisie par cinq recours relatifs au troisième mandat du chef de l’Etat et au passage à une nouvelle République. En début février, elle a statué sur les recours en question. Si elle a rejeté celui sur le troisième mandat introduit par l’ancien ministre Christian Lagnidé, la Cour constitutionnelle s’est prononcé sur celui relatif à la nouvelle République. Pour les hauts magistrats, la révision constitutionnelle de 2019 n’induit pas un passage à une nouvelle République. Il n’y a que l’adoption d’une nouvelle Constitution qui introduit une rupture sur le plan juridique dans le fonctionnement des institutions.

Malgré tout, les partisans du troisième mandat n’ont pas baissé les bras. Ils ont continué à pousser à la roue au point d’agacer celui qui estime qu’on veut l’amener à commettre une faute, à se dédire. De par leurs agissements, ils obligent le chef de l’Etat à passer le temps à répéter qu’il n’est pas candidat à la prochaine présidentielle sans pouvoir convaincre certains de ses compatriotes de sa bonne foi. Ces derniers ne veulent pas tout simplement lui donner le bon Dieu sans confession. On a même l’impression que plus il martèle qu’il ne sera pas candidat, plus il éveille des soupçons sur ses réelles intentions.

A la décharge des sceptiques au Bénin et en dehors, il y a des exemples de chefs d’Etat qui disaient ne pas être candidats à leur propre succession avant de faire un rétropédalage. Prenons juste deux pour illustrer notre propos.

Le premier est le président ivoirien Alassane Ouattara. En 2020, il avait dit qu’il allait passer la main à la jeunesse avant de se porter candidat pour un troisième mandat. Ses partisans expliquent ce revirement par les décès successifs de ses dauphins Amadou Gon Coulibaly et Ahmed Bakayoko. Cette année 2025, à moins de sept mois de la présidentielle, il ne s’est pas encore prononcé clairement sur sa candidature ou non à un quatrième mandat. N’empêche, ses partisans l’ont déjà désigné comme leur « candidat naturel » à la présidentielle d’octobre 2025. En janvier dernier, lorsqu’il a abordé la question, c’est pour entretenir davantage le flou en disant être « désireux de continuer à servir son pays ».

Le second exemple qui fait douter de la parole présidentielle est celui du président bissau-guinéen Umaru Sissoko Embalo. En septembre 2024, il a déclaré ne pas être candidat à la présidentielle de cette année dans son pays (alors que rien ne l’empêche de le faire) sur « les conseils » de son épouse. En ce mois de mars 2025, rétropédalage de l’intéressé. Il est à nouveau candidat sans dire officiellement si c’est encore sur « les conseils » de la Première dame.

Au regard de ces deux exemples, Patrice Talon ne doit donc pas être étonné de ne pas arriver à convaincre de sa bonne foi. Comme des chats échaudés qui craignent l’eau froide, beaucoup ne veulent plus se faire avoir. A un peu plus d’un an de l’échéance, le président a le temps de changer d’avis, de céder aux sirènes et de revenir donc sur sa parole. Le scepticisme est tel qu’il faut savoir trouver le bon timing pour convaincre : ni trop tôt, ni trop tard. C’est dire que Patrice Talon, en sortant trop tôt du bois, ne pourra pas mettre fin aux débats sur le troisième mandat. Ils lui colleront à la peau jusqu’aux ultimes moments de la présidentielle. Il y a beaucoup de Saint Thomas qui attendent de voir avant de croire. Et il faudra compter avec eux.

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