Le 10 mai dernier lorsque Laurent Gbagbo se faisait investir par son parti pour la présidentielle d’octobre 2025, nous nous demandons « si Alassane Ouattara va faire l’exception en se retirant après son 3e mandat malgré les appels de pied de ses partisans pour qu’il se représente en 2025 ». Si jusque-là, il ne s’est pas prononcé, ses partisans, eux, sont passés à la vitesse supérieure dans leurs appels du pied.
Au cours d’une réunion le 27 mai 2024, le parti du chef de l’Etat, le Rassemblement des houphouétistes pour la paix (RHDP), a officiellement désigné ce dernier comme son « candidat naturel » pour l’élection présidentielle d’octobre 2025. A l’issue de la réunion, le porte-parole du RHDP, Kobenan Kouassi Adjoumani, a déclaré ceci à la presse : « C’est notre candidat et c’est la volonté du parti. Nous irons lui demander d’accepter ». Acceptera-t-il ? N’acceptera-t-il pas ? La balle est donc dans le camp de Alassane Dramane Ouattara (ADO). S’il venait à céder aux sirènes de ses partisans, il serait en lice pour un 4e mandat successif.
Sous nos tropiques, on a vu rarement un chef d’Etat sortant refuser de répondre à ce genre d’appel de ses partisans. Généralement, tout cela suscité, orchestré en sous-main, pour donner l’impression que « le candidat naturel » n’était pas intéressé mais a dû céder au nom de l’intérêt général. Dans le scénario, on va même jusqu’à faire entrer en scène des couches socio-professionnelles à travers des marches de soutien, des meetings, pour supplier l’homme indispensable, l’homme providentiel, le sauveur, d’accepter. Déjà, on a pu lire à la Une du n°316 du 25 au 26 mai 2024 du journal RHDP News : « Présidentielle 2025 : 96% de la population appelle ADO pour être candidat » ou encore « Il (ADO) n’a pas droit de faire pleurer le peuple ».
Dans ces conditions, Alassane Ouattara peut-il vraiment refuser de répondre favorablement à toutes ces sollicitations ? On sait bien que la Constitution révisée lui permet de rempiler et aussi que son bilan de plus d’une décennie à la tête de la Côte d’Ivoire ne manquera pas d’être mis en avant par ses partisans avec, comme cerise sur le gâteau, la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football 2024 que le pays a organisée et a remporté le trophée. En inaugurant le 4e pont d’Abidjan avant cette CAN, le chef de l’Etat n’a-t-il pas dit que cela vaut un 4e mandat ? Certes, il ironisait, mais c’est révélateur d’un état d’esprit.
En Afrique, lorsque l’on colle l’expression « candidat naturel » à une personne, on met sur ses épaules tous les espoirs de réussite et de survie du parti. Et refuser d’assumer ce rôle reviendrait à ne pas aimer le parti, à être un mauvais militant. La personne est condamnée à accepter et ne peut rien invoquer pour se dérober. Pas même une fatigue, une lassitude du pouvoir ou des raisons de santé. Et quand on regarde bien, ce type de candidat est toujours le chef de l’Etat.
En 2020, ADO a évoqué la mort du candidat qui avait été préparé pour porter l’étendard du parti à la présidentielle, le défunt Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, pour se représenter alors qu’il avait promis de passer la main à la nouvelle génération. Cette fois, on imagine que ce sera sans doute la demande pressante des militants qu’il alléguera s’il arrivait qu’il franchisse le pas.
En dehors du parti, il y a le cas Gbagbo qui pourrait être un argument. Malgré son inéligibilité, Laurent Gbagbo joue aussi les candidats naturels de son parti, le PPA-CI (Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire), en se faisant investir pour 2025 alors que l’on pensait qu’il allait enfin laisser la place à quelqu’un d’autre. ADO et Gbagbo sont les deux baobabs de la politique ivoirienne qui restent après le décès de Henri Konan Bédié en début août 2023.
A y voir de près, chacun d’eux conditionne sa retraite politique à celle de l’autre. « Je me retire si l’autre le fait aussi » semble être le leitmotiv. On peut dire sans risque de se tromper que Ouattara s’est présenté à la présidentielle de 2020 parce que feu son aîné Bédié, déjà octogénaire, l’a fait aussi. Des jeunes loups comme Guillaume Soro, Charles Blé Goudé, KKB (Kouadio Konan Bertin), etc. doivent encore attendre avant de se faire une place au soleil.