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La France en Afrique: partir, rester ou tout changer? Voici l’analyse de Rama Yade

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En devenant en juin 2007 Secrétaire d’État aux Affaires étrangères et aux Droits de l’Homme à 30 ans (2007-2009), Rama Yade fut aussi la première femme d’origine africaine à devenir membre du gouvernement français. Une grande première sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Elle est depuis 2019 la Cheffe du Département Afrique au Centre de l’Atlantic Council depuis à Washington; un poste d’influence, aussi prestigieux que stratégique.

Originaire du Sénégal et de nationalité française, Rama Yade nous apporte une expérience impressionnante de haut niveau sur la scène internationale qui permet au Centre pour l’Afrique de se faire connaître et de s’appuyer sur son travail de porte-parole des agences africaines et des partenariats transatlantiques. Toujours aussi passionnée par l’Afrique, Rama Yade fait dans une vidéo publié sur son compte X (twitter) une analyse sur les relations France-Afrique. Nous avons transcrit intégralement cette vidéo pour vous. lisez plutôt!

« On me demande souvent pourquoi ces vidéos en anglais. L’anglais est juste une langue de travail. Je l’utilise pour communiquer avec la communauté d’Atlanticans. Je ferai néanmoins régulièrement des vidéos en français pour garder le lien. Et surtout, les grandes questions géopolitiques qui bouleversent le monde actuellement et dont je parle ici concernent tout le monde, et bien évidemment, les francophones. À ce sujet, je voudrais consacrer cette vidéo au rôle de la France en Afrique. Une question que j’aborde peu, parce que je ne souhaite pas qu’on interprète politiquement mon propos, qui est du ressort de la recherche, de l’analyse non-partisane, comme l’organisation que je représente.

Clairement, la France vit des heures compliquées en Afrique. Commençons par faire pièce à certains préjugés, par exemple, le sentiment anti-français. Est-ce que les Africains sont hostiles à la France? Probablement pour certains, mais pas tous. Beaucoup d’entre eux, y compris ceux qui sont impliqués dans les protestations anti-françaises, sont de nationalité française ou ont des familles en France. Ce qu’ils contestent, c’est l’action des gouvernements en Afrique. Est-ce que les Russes ont l’air à le sentiment anti-français. Incontestablement, ils exploitent ce sentiment.

Mais ils n’en sont pas exclusivement à l’origine. C’est même insultant de penser que les Africains ont besoin des Russes pour comprendre ce qui ne va pas dans leur relation avec l’ancienne puissance coloniale. D’ailleurs, la remise en cause de l’influence française n’est pas limitée aux pays ayant récemment subi des coups d’État comme le Mali, le Niger, le Burkina. Même dans les pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, les murs disent France dehors. 60 ans après les indépendances, le français est phare, la présence militaire, la question de l’exploitation des ressources naturelles, la gestion migratoire, sans doute le plus douloureux dans la relation. On ne compte plus les sujets de friction et la forte demande de souveraineté. C’est un tourment majeur pour les Africains mais aussi pour la France car sans l’Afrique, le rang de la France sur la scène mondiale n’est pas le même.

En effet, la puissance française repose sur trois piliers. Le siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, la puissance militaire et ces deux piliers dépendent d’un troisième, sa place singulière en Afrique. Sans l’Afrique, le risque est grand de voir la France décrocher dans le monde, un monde marqué par le multialignement. Car les Africains ont désormais des options. Pas seulement avec la Chine ou la Russie, il y a aussi les puissances régionales, comme la Turquie, l’Arabie Saoudite, les Émirats et, de manière plus discrète, l’Allemagne, concurrence de plus en plus la France en Afrique. Les États-Unis aussi, à certains égards, manifestent leur souhait de s’implanter davantage sur le continent. C’est que les Africains sont en train d’expérimenter une nouvelle phase de leur émancipation. Ça va au-delà d’une affaire de quelques coups d’état. L’Afrique a changé. C’est un continent en transition et au travail. L’Afrique aujourd’hui, c’est le plus ancien continent d’où vient toute l’humanité, le plus jeune par sa population et aussi, dit-on, à la fin du siècle, le plus peuplé. Un être humain sur quatre sera africain dans à peine 25 ans.

Avec 65% des terres arabes dans le monde, elle peut nourrir la planète. Avec 30% des minéraux critiques, elle est indispensable à la transition verte dans le monde. Mais au-delà de ce dont la nature l’a pourvu, l’Afrique travaille dur. Cette année, 6 des 10 économies à plus forte croissance seront africaines. Le nombre de millionnaires va doubler d’ici 3 ans. Hilton va ouvrir 65 nouveaux hôtels dans les 5 ans.

Il y a quelques mois, au Bénin, j’ai vu des ateliers où l’on fabriquait des t-shirts made in Africa, exit le made in China. Le continent est en train de construire la plus grande zone de libre-échange au monde. Une classe moyenne éduquée émerge, ça veut dire des clients, des consommateurs, mais aussi des exigences politiques. Avec davantage de portables qu’en Europe et Amérique réunies, les Africains payent le taxi et provoquent des révolutions politiques. L’Afrique politique parle de plus en plus en son nom comme on vient de le voir avec l’affaire de la Cour internationale de justice sur la situation à Gaza ou encore sur l’Ukraine l’année dernière lorsque elle a envoyé une délégation pour la paix.

Après tout le continent africain c’est 30% des voix à l’ONU. Pendant longtemps les résolutions sur l’Afrique à l’ONU était d’ailleurs porté par la France qui épuisait un grand prestige. L’Afrique vient également de gagner une meilleure représentation au FMI, mais aussi un siège permanent au G20. L’Union africaine est la seule organisation régionale à avoir ce statut avec l’Union européenne. La transformation est aussi culturelle. Le New York Times rappelait récemment que Bernabéu a été en 2023 le premier africain à jouer à guichet fermé dans un stade américain de 88 places. Cette Afrique-là, elle ne parle plus le langage de l’aide au développement. D’ailleurs, l’argent que la diaspora envoie en Afrique a largement dépassé cette aumône. Je pourrais aussi vous parler de l’impact en cours de l’intelligence artificielle, etc. Il serait vain de voir cette nouvelle réalité sous le seul angle de la France-Afrique quand bien même on voudrait y mettre fin. Ou encore d’une énième loi migratoire. Avec 43 habitants au kilomètre carré, soit trois fois moins que l’Union Européenne, l’Afrique est sous-peuplée. Donc pas de grand remplacement au menu. Face à la naissance ou renaissance du géant africain, l’enjeu pour la France est existentiel, non pas en tant que nation, mais en tant que puissance. Donc, que doit faire la France maintenant? Quatre options se présentent à elle.

D’abord, le retrait pur et simple. Elle quitte l’Afrique et va ailleurs, en Asie, par exemple. C’est hasardeux. C’est un espace déjà suroccupé. La Chine, l’Inde, même les Etats-Unis. Deuxième option, le statu quo, avec un repli sur les vieux amis, entre guillemets; le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Congo, le Cameroun. Pas sûr que ça marche longtemps, car là aussi les opinions commencent à s’agiter.

Elle peut aussi aller ailleurs, en Afrique, là où on la connaît moins, le Nigeria, l’Angola. Il y a aussi de gros intérêts stratégiques là-bas. Mais cette zone est aussi compliquée.  Souvenez vous de l’épisode de l’intervention militaire de la CEDEAO au Niger avec le soutien français qu’on a fini par reprocher aux Nigériens.

Autre option possible, on s’abrite derrière l’Union Européenne, une sorte de nouveau départ avec une entité que les Africains connaissent peu mais dans sa relation avec l’Afrique, l’Union Européenne va devoir sortir de la seule perspective migratoire et policières et pourquoi pas préférer des projets plus positifs comme le Global Gateway, ce vaste plan d’investissement à destination du continent africain.

Dernière option, plutôt que ces mouvements plus ou moins tactiques, on change tout. On change de paradigme, on change les réseaux, on arrête les interventions, on laisse les Africains choisir leur destinée monétaire, sécuritaire. On inclut davantage le Parlement français, la société française dans la conception de la stratégie nationale en Afrique. On s’appuie sur les forces de la France parce qu’elle en a, elle a des atouts qu’aucun de ses concurrents, même ses alliés n’a sur le continent africain.

Humains avec la diaspora, les mariages mixtes, culturels avec la solidarité francophone, techniques avec les industries de pointe, la formation, les grandes écoles. Les options existent, cela prendra du temps c’est vrai, mais tant qu’il y a du respect. Il n’y a absolument rien d’impossible à rétablir cette relation sur des bases plus saines. La géographie le commande, l’histoire ne l’interdit pas et le futur l’exige. »

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